e nouveau, un millésime démontre les effets du changement climatique sur le vignoble. Avec le coup de séchoir de l’été 2025, y-a-t-il une nouvelle prise de conscience ou est-ce devenu banal dans le quotidien vigneron ?
Jean-Marie Fabre : Si certains ont cru percevoir un atavisme personnel dans ma mobilisation pour l’adaptation au changement climatique, la réalité démontre que tout le monde est concerné. Les conclusions du rapport sénatorial ont compris que l’enjeu climatique est important pour la filière. Mais avec une réponse seulement par le prisme des cépages résistants. Pour moi, c’est l’un des outils, à condition de réfléchir aux porte-greffes et aux clones d’autres pays (Liban, Espagne, Portugal, Grèce, Israël…). On sait que les aléas seront plus nombreux, répétitifs et de plus en plus violent. La norme devient l’année avec des aléas. Il n’y a pas de salut sans protection physique de nos vignobles face au changement climatique. On peut miser sur la réforme de l’assurance récolte, sur la solidarité nationale, sur l’optimisation de la Déduction pour Épargne de Précaution (DEP)… Mais cela ne servira à rien si l’on n’est pas capable de protéger les vignobles.
Alors que la récolte historiquement basse du vignoble français grève les coûts viticoles et la pérennité des exploitations, l’adaptation au changement climatique n’est pas au premier rang des mesures de crise du vignoble. La fin du mois avant la fin du monde ?
Bien sûr que les réponses d’urgence sont l’arrachage restructurant, la distillation des stocks, la révision du prêt de consolidation, l’allégement de la fiscalité… Mais nous allons rapidement commencer le millésime 2026, avec les premières gelées, puis les premiers orages de grêle, etc. Tout le monde va serrer les fesser pour passer à travers des aléas. On prend les problématiques à l’envers. Le vrai enjeu est notre capacité à inverser l’intervention des pouvoirs publics pour nous protéger a priori et ne plus aider a posteriori. Si l’on ne met pas en place le plan Marshall que j’appelle de mes vœux, on continuera à perdre de la récolte, à perdre des parts de marché, à dégager moins d’activité… L’enjeu de demain réside essentiellement dans notre capacité à limiter l’impact climatique pour préserver 85 à 90 % de nos rendements. Si l’on ne produit pas 85 à 90 % de notre potentiel de production chaque année, on ne tiendra plus. C’est l’enjeu central. Cela demande des investissements financiers que j’estime à 4 milliards d’euros sur les 3 prochaines années. Avec 2 milliards € de l’État et des régions avec un cofinancement de l’Union Européenne et 2 milliards € du vignoble, c’est jouable. Mais c’est un vrai choix politique.
Votre demande de plan Marshall ne veut pas donner un avenir qu’à la viticulture du Midi que l’on sent en sursis. Les fragilisations de trésorerie dans des vignobles valorisés, mais martyrisés par les éléments, comme la Bourgogne en témoignent.
Depuis longtemps la manifestation du changement climatique est la plus violente chez nous. Nous étions hélas précurseurs. C’est visible aujourd’hui en Bourgogne, comme c’était le cas dans la Vallée-du-Rhône il y a deux ans. Dans ces vignobles à valeur ajoutée, il y a des coûts de production à tenir, et quand on perd trop de raisins par le gel ou la grêle, les charges sont supérieures aux recettes et l’équation économique devient intenable. Ça se gère une année, mais quand les aléas restent exceptionnels. Aujourd’hui, il n’y a pas un vignoble qui peut se prévaloir de ne pas être touché chaque année par un aléas. Dans le Languedoc, la manifestation est la plus visible et criante. Mais quand on voit dans le Sud-Ouest, comme à Cahors, que tout peut être perdu, ce n’est pas limité à un bassin. Dans les vignobles sans soucis de valorisation et de mévente, les entreprises sont pendues aux risques climatiques en permanence. Il faut en sortir.
Vous préconisez de mobiliser les fonds publics sur la prévention des aléas climatiques plutôt que dans la compensation des dégâts économiques.
Les centaines des millions d’euros mis a posteriori pour compenser les pertes sont nécessaires. Mais ils ne permettent pas de sauver la totalité du vignoble et quelques mois après, un nouvel aléa force à réenclencher la même dynamique : c’est un sparadrap sur une jambe de bois. L’argent public étant rare, il faut l’optimiser durablement dans la protection. Quand on mettra 2 milliards € sur la table pour protéger 60 à 70 % du vignoble qui doit l’être, il n’y aura plus besoin de solidarité nationale pour compenser : la DEP, les stocks et les assurances suffiront. On ne peut plus accepter de dépenser de l’argent public à fonds perdus. Les pouvoirs publics doivent entendre qu’il s’agit d’investir pour permettre aux vignobles de tenir, pour économiser à l’avenir, pour avoir plus de recettes…
Quelles sont les adaptations au changement climatique à soutenir pour vous : l’accès à l’eau, les dispositifs antigel et antigrêle, la protection des parcelles par des ombrières photovoltaïques ou des filets paragrêles, ou des couvertures amovibles type VitiTunnel ?
Il faut affronter tous les aléas. Avec également les canons à grêle, les tours antigel, l’irrigation par retenue collinaire, le travail sur les clones et porte-greffes… Il n’y a pas une, mais des solutions. Les innovations technologiques sont là, mais avec des coûts supplémentaires comme elles sont sous-déployées. Si l’on met en place ces solutions à grande échelle, il y aura une réduction des coûts. On a aujourd’hui besoin d’un signal fort, pour ne pas dire essentiel, il faut se protéger de la climatologie. Des vignerons me répondent qu’il faut d’abord passer le mois en payant la MSA. Mais si l’on règle seulement la trésorerie immédiate, nécessaire pour respirer, on ne soigne pas la maladie principale qu’est le changement climatique, qui nous asphyxie et nous menace de mort. Le climat est une donnée structurelle, ce serait une erreur de continuer à perfuser après les aléas. Ce serait un manque de vision politique, d’ambition stratégique et de sérieux budgétaires. Il y aura moins d’interventions de solidarité nécessaires (hors coups durs) et plus de parts de marché gagnées (avec des investissements et l’alimentation de l’économie en cascade). Nous sommes au point de bascule de notre destin climatique.
Si l’adaptation au changement climatique fait partie des sujets clés de ce salon Sitevi, il y a également le défi des moyens de production alors que les restrictions s’accumulent pour les produits phytos…
Il faut nous protéger des aléas climatiques et avoir la volonté de dire que le secteur est en pointe sur la réduction des phytos naturels et de synthèse. Rappelons le slogan pas d’interdiction sans solution. Il faut aller plus vite sur la recherche fondamentale pour trouver des solutions alternatives ayant une efficacité démontrée techniquement et économiquement. Nous voyons une tendance inverse en voulant être mieux-disant. On amène alors plus de compétitivité à nos concurrents et on réduit la nôtre.




