n entend en Languedoc qu'il y aurait trop de volumes de Pays d'Oc qui seraient labélisés, avec des lots qui ne seraient pas assez qualitatifs et restrictifs, ce qui pèserait sur les perspectives de marché et les craintes de nouvelles dévalorisations. Qu'en est-il pour vous ?
Jacques Gravegeal : C'est totalement infondé ! Je comprends très bien que ces critiques ne viennent pas d'amis de Pays d'Oc. Quand on fait 6 millions d'hectolitres, on n'a pas que des amis. Nous sommes la seule IGP qui déguste 100 % de ses vins : le critère qualitatif, personne ne peut le contester. Les volumes que nous atteignons témoignent de cette confiance. Je dis cause toujours.
Il reste cette impression qu'il y aurait trop volumes produits par rapport aux capacités d'absorption du marché.
C'est fallacieux. Pays d'Oc, c'est la valeur refuge. Nous sommes les seuls à avoir mis en place le Besoin Individuel de Commercialisation (BIC), qui assure la régulation de marché. Vous verrez dans la déclaration de récolte 2025 que tout le monde voudra déclarer du Pays d'Oc. Ceux qui ne sont pas aux normes seront déboutés. Nous mettons en marché des volumes qualitatifs et contraints. Cela n' empêchera pas les gens d'avoir des propos délétères. Les autres vins de pays (je ne les appelle pas IGP, ils n'ont pas fait leur transformation) ont des pertes de volumes conséquentes. Quand il y a des crises répétées sur les AOC, Pays d'Oc est un refuge : 1 million hl d'AOC ont basculé en Pays d'Oc parce qu'ils n'avaient malheureusement pas de débouchés.
Ceux qui critiquent Pays d'Oc veulent en produire et en fournir? Le drame dans l'écurie, c'est que quand il n'y a plus de foin les chevaux se battent. Nous restons à Pays d'Oc dans le créneau de la qualité. Mais nous ne sommes pas là pour récupérer toute la misère du monde. Tout le monde cherche à vider sa cave et le plus rémunérateur est Pays d'Oc, mais tout le monde ne peut pas être IGP Pays d'Oc.
Des critiques existent sur l'autorisation en Pays d'Oc de la taille rase qui ouvrirait la porte à la submersion volumique?
C'est un faux procès. C'est simple, tous nos vins sont dégustés : soit tu es bon et tu es agréé, soit ce n'est pas bon et c'est non. Ce qui compte, c'est la maîtrise technique à la parcelle : en taille rase on peut être bon ou mauvais. Ce qui compte, c'est le vin, pas la vigne. J'ai personnellement une production mixte, je sais comment un cahier des charges peut être contraignant. Pays d'Oc défend la liberté d'expression dans son cahier des charges. 100 % des vins sont dégustés et nos consommateurs achètent du vin, pas des vignes, qu'elles soient en taille rase ou pas.
Alors que le Languedoc connait une nouvelle récolte réduite par le climat en 2025, on entend monter la crainte d'une baisse des ventes comme les blancs ne manqueraient pas, qu'il y aura une production importante de rosés et que des rouges sont toujours en stock? On parle même de cours tombant sous ceux espagnols.
Vous me déroulez le tapis rouge. En 2020, pour dégraisser les 3 millions hl de Pays d'Oc en rouge nous avons fait une bascule vers les rosés, comme les Provençaux décidaient de se concentrer sur l'export et le marché américain. Cette année-là, il y a eu la contractualisation de 577 000 hl de cépages rouges passés en rosés. Nous sommes devenus le premier producteur français et européen de vins rosés avec 2 millions hl. C'était une réponse de régulation au marché et nous avions la capacité de basculer 500 000 hl de plus sans problème. Mais des opérateurs français ont préféré répondre à l'engouement pour les vins rosés en allant chercher en Espagne un vin qui n'est pas rosé, le mescla, à 42 ?/hl. Quand j'ai découvert en 2023 la récession des volumes de commercialisation des rosés en pays d'Oc, je me suis insurgé : -4,5 %, ce n'est pas possible !
En 2023, les échanges de rosé se sont élevés à 18,5 millions hl dans le monde. La France est le premier pays producteur de rosés avec 8 millions hl et le premier consommateur avec 5,8 millions hl, dont 2,4 millions hl de vins espagnols. Ce n'est pas le rosé espagnol qui est prisé, mais le prix. Que l'on ne me raconte pas que l'on ne trouve pas de rosés, on en a tant qu'on veut en Pays d'Oc, mais le négoce ne veut pas le payer 85 ?/hl en Pays d'Oc et préfère du vin espagnol à 42 ?/hl, alors que le prix consommateur n'a pas été diminué de deux. Il faut arrêter, c'est le moment où l'on montre que l'on est patriotique ou qu'on ne l'est pas. On n'a pas besoin d'aller chercher 2,4 millions hl de mescla espagnol : la France est capable de le fournir. Ces négociants prédateurs détruisent la valeur ajoutée territoriale et poussent des gens dans la désespérance à demander n'importe quoi : de la distillation et de l'arrachage. Si l'on alimente le marché français avec 2,4 millions hl de vins français et pas espagnols, il y a un équilibre harmonieux.
Vous ne partagez donc pas les demandes actuelles de 200 millions ? pour arracher définitivement 50 000 hectares de vignes ?
Ce qui m'irrite au plus haut point, c'est que nous avons un élément de réponse économique tout trouvé, la bascule de vins rouges en rosés, mais qu'il est anéanti par ce commerce prédateur qui n'a pour seul objectif que de faire de l'argent et se foutre du territoire dans une période où l'on fait face aux effets de Trump, de la guerre en Ukraine... Les metteurs en marché prédateurs achètent pas cher pour mettre deux gouttes de nos vins pour avoir la mention "vin de l'UE" et pas la mention "vin d'Espagne" qui n'est pas vendeuse. C'est dégueulasse quand je vois que ces prédateurs sont en train de foutre en l'air la filière viticole pour des gains immédiats qui ne seront pas transformés dans l'avenir. La désespérance s'est installée dans nos vignobles, il n'y a plus d'installation alors que la France est un lieu reconnu dans le monde pour la viticulture et les vins de qualité. On produit 36 millions hl cette année, 10 millions de moins que l'Italie !
Si vous précisez que tous les négociants ne sont pas à mettre dans le même sac, ceux qui cassent les prix sont pour vous responsables de la crise viticole française et des demandes actuelles d'arrachage et distillation.
Oui. Ils donnent une image négative du reste du commerce qui exporte et participe à notre image de qualité. Il n'y a qu'un petit nombre qui a un impact négatif. Pays d'Oc est commercialisé à 85 % par le négoce : une infime partie importe d'Espagne des vins qui sont cachés sous la mention UE, sont francisés pour certains, sont mis dans la cuvée du patron de certains restaurateurs qui vendent cher et gâchent le plaisir des consommateurs?
Sur une note plus positive, l'interprofession de Pays d'Oc vient d'avancer sur des accords de durabilité : est-ce un jalon pour la revalorisation des cours ? Si ce n'est pas un prix minimum, son message est qu'en dessous d'un certain seuil il y a destruction de la filière?
Je me suis battu toute ma vie pour qu'il y ait des interprofessions où l'aval et l'amont peuvent discuter. On avait l'interdiction de parler de prix dans les interprofessions et, c'est une réussite de la coopération, on a pu obtenir de l'Union Européenne la capacité de parler de prix pour fixer, sous différents critères, un prix d'orientation. Pas un prix de marché. Un prix d'orientation qui peut être respecté ou non, mais qui indique qu'en dessous on fait perdre de l'argent et qu'au-dessus on continue à pouvoir vivre et maintenir l'économie territoriale. La régression de la surface viticole en France est liée au revenu : les jeunes ont toujours envie de travailler la vigne, mais sans revenu, ce n'est pas possible même quand on aime la viticulture. Les parents n'incitent pas à rester, comme ils crèvent la faim.
Quel est le bilan du BIC ?
La question c'est pourquoi les autres n'en font pas ! On a ouvert la porte. On ouvre tout le temps la porte. On a ouvert les vins de cépages, on nous a pris pour des cowboys américains avec Robert Skalli : il a fallu chercher les consommateurs chez eux. Je veux bien qu'on critique Pays d'Oc, mais il faut prendre la mesure de notre développement, tous les autres ont régressé. Quelle autre région a fait autant efforts que Pays d'Oc ? Aucune, nous sommes les enfants de la restructuration du vignoble. Jusque-là, les metteurs en marché jouaient le jeu de la valorisation, depuis quelques années, quelques négociants, peu nombreux, sont arrivés comme des chiens au milieu d'un jeu de quilles et nous font mal, très mal. Ils disent aux gens en détresse que si on leur fait un petit prix en Pays d'Oc ils le prennent tout de suite.
On entend parler de contrats officiels avec des cours corrects, mais des factures tombant derrière sur des frais de filtration pour réviser à la baisse les prix?
C'est dégueulasse. Ces gens-là sont des prédateurs, ils ne rendent pas service à leurs pairs qui sont des metteurs en marché sérieux qui construisent Pays d'Oc. Ces prédateurs foutent en l'air l'honorabilité des metteurs en marché vertueux, heureusement qu'il en reste. Mais il faut aussi parler des contraintes que la France s'impose : tous les jours on se tire une balle dans le pied avec la loi Evin, les retraits de phytos sans solution? Et la possibilité d'importation européenne de vins à très bas prix n'ayant pas les mêmes contraintes. Mais d'abord, que l'on m'explique comment l'Espagne peut produire du vin à 42 ?/hl ?
Ce sont des revendications et slogans que l'on entendait à Béziers lors de la manifestation du 15 novembre.
J'y étais, ce sont les constats partagés avec le syndicalisme. Mais ils veulent traiter rapidement les effets de la crise, j'appelle à se pencher sur leurs causes.




