Le lobby de l’alcool vous remercie ! » lance vertement la député Sandrine Rousseau (Paris, les Écologistes) alors que l’Assemblée Nationale rejetait ce samedi 8 novembre son amendement instaurant une taxation de 3 % des publicités en faveur de boissons alcooliques pour les entreprises réalisant plus de 10 millions € de chiffre d’affaires (ainsi que les amendements de repli montant le seuil jusqu’à 50 millions €). Sans aller jusqu’aux effusions de joie, on entend sans conteste dans le vignoble un soupir de soulagement alors que s’achève la partie dédiée aux recettes du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2026 (PLFSS). Tous les amendements proposant de nouvelles taxes sur le vin en particulier et les boissons alcoolisées en général ont été rejeté : qu’il s’agisse de prix minimum, de déplafonnement de l’augmentation annuelle de l’accise sur les boissons alcoolisées par rapport à l’inflation, d’élargissement des cotisations de la sécurité sociale à tous les alcools… Le tout dans un climat parlementaire tendu, avec de vives passes d’armes.
Ce 7 novembre, le rapporteur général du PLFSS, le député Thibault Bazin (Meurthe-et-Moselle, les Républicains), essaie de reposer des bases sereines : « il ne faut pas laisser croire que l’alcool n’est pas taxé. Dans notre pays, il y a actuellement entre 4 milliards et 5 milliards d’impôts sur les alcools au profit de la sécurité sociale, ce qui participe de la réponse aux problèmes de santé » portés par les défenseurs de fiscalité comportementale. « Je confirme que les boissons alcoolisées sont taxées : les droits sur les alcools s’élèvent à 2,3 milliards, les droits sur les bières, à 900 millions, les droits sur les vins, cidres et poirés, à 100 millions, et les cotisations sociales, c’est 700 millions » précise la ministre de l’action et des comptes publics, Amélie de Montchalin.
Toujours le 7 novembre, la discussion des amendements déplafonnant l’augmentation annuelle des accises fait dire au député Aurélien Lopez-Liguori (Rassemblement National, Hérault) que « les Rapetou sont de retour [pour qui] chaque verre de vin est une faute [avec] votre hygiénisme et votre folie fiscale [frappant un secteur du vin] alors qu’il traverse une de ses plus graves crises. Pour la France, contre les idéologues et contre l’empire de l’anti-fun, nous nous opposerons à ces amendements. »
Dans la forme, « on parle français quand on se dit attaché aux traditions ! » lui rétorque la députée Sandra Regol (Bas-Rhin, les Écologistes). Dans le fond, « il ne s’agit pas de créer une nouvelle taxe. Ce dont nous parlons existe déjà. Toutefois, l’évolution annuelle du montant de l’accise sur l’alcool est aujourd’hui limitée par la loi à 1,75 %. Il est un des seuls produits à bénéficier d’une disposition de ce type » argumente le député Hadrien Clouet (Haute-Garonne, les Écologistes). Un argument qui avait convaincu la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale le 29 octobre, mais pas les députés présents ce 8 novembre.
Plaidant pour un prix minimum de 0,60 euro par centilitre d’alcool pur ce 7 novembre, le député Hendrik Davi (Bouches-du-Rhône, les Écologistes) estime que « l’application de cette mesure à la France a fait l’objet de modélisations qui ont montré qu’elle pourrait faire réduire de 15 % les volumes achetés et de 22 % la mortalité ; en outre, les profits des producteurs indépendants augmenteraient de 39 % tandis que ceux des grands industriels et distributeurs baisseraient de près de 40 %. Voilà qui devrait vous faire réfléchir ! »
Cela fait plutôt bondir le député Jean-René Cazeneuve (Gers, Ensemble pour la République). « Vous confondez le vin et l’abus de vin, l’alcool et l’abus d’alcool ! » lance l’élu gascon, pour qui « nos viticulteurs souffrent suffisamment de la déconsommation, des taxes qui se multiplient notamment aux États-Unis et en Chine et de l’image du vin que véhiculent certains Français – et certains d’entre vous. Je veux redire toute mon admiration pour la filière viticole, tout en précisant que chacun doit bien évidemment contrôler sa consommation. »
Ce 8 novembre, les discussions sur les taxes des alcools se sont envenimées sur le sujet de l’extension de la cotisation à la sécurité sociale lorsque la députée Ségolène Amiot (La France insoumise, La France insoumise) a déclaré que « l’alcool fait l’objet d’une forme d’hypocrisie puisqu’on taxe et surtaxe, pour financer l’assurance maladie, uniquement les alcools forts. […] Pourtant 1 gramme d’éthanol reste 1 gramme d’éthanol. Par ailleurs, la taxe sur les alcools ne couvre qu’à 51 % les dépenses de l’assurance maladie dues aux dégâts de l’alcool. Nous proposons donc d’élargir la taxe à tous les types de boisson alcoolisée. »
Dans le brouhaha, le député Maxime Michelet (Marne, Union des Droites pour la République) qualifie ses « collègues du NFP – nouveau front de la prohibition ! C’est bien la prohibition qui se trouve au bout de votre réflexion » car « vous voulez faire baisser la consommation alors que les filières concernées subissent déjà une crise des ventes. De plus, les taxes comportementales ne font pas baisser la consommation des personnes atteintes d’addiction. La solution n’est pas de taxer mais d’éduquer. Ce n’est pas l’alcool mais l’excès d’alcool qui tue. Comme la taxe n’éduque pas, elle échouera, et c’est l’interdiction que vous demanderez demain. Vos amendements disent cibler les grands industriels, mais c’est méconnaître notre viticulture : les filières en question – cidre, bière et vin – sont fondées sur le maillage d’exploitations familiales. »
Passant aux amendements taxant la publicité pour les alcools (dès 10 millions € de chiffre d’affaires), les députés se sont de nouveau échauffés. « Le but de mon amendement est d’interdire la publicité sur les réseaux, dont les industriels, souvent étrangers – rien à voir, donc, avec notre agriculture ! –, se servent pour alcooliser notre jeunesse » lance le député Cyrille Isaac-Sibille (Rhône, Modem). « Je partage l’objectif […] je propose néanmoins, dans mes sous-amendements, de relever le seuil du chiffre d’affaires qui rend les entreprises redevables de la taxe à 40 ou à 50 millions d’euros. Fixer un seuil trop bas pénaliserait les acteurs des territoires que sont les petites brasseries régionales ou les caves coopératives » enchaîne le député Paul-André Colombani (Corse du Sud, Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires). « Nous ne sommes pas dans une folie de taxation, la mesure étant très limitée » défend également Sandrine Rousseau, la députée parisienne estimant que « la taxe ne concernerait que les grosses entreprises qui se livrent à une publicité massive pour convaincre les jeunes de consommer leurs boissons alcoolisées, dont elle vante les mérites. »
Pour le rapporteur général du PLFSS, Thibault Bazin, ces amendements sont trop imprécis pour pouvoir être soutenus : « non seulement ce dispositif ne définit pas les boissons alcooliques concernées, mais l’assiette est incompréhensible. Vous risquez donc une annulation ou un contentieux. Et surtout, vous renvoyez les modalités de recouvrement à un décret, exposant la mesure de manière certaine à la censure du Conseil constitutionnel. » Même rejet de Stéphanie Rist, ministre de la Santé, qui rappelle que « l’alcool est interdit aux mineurs et nous devons faire respecter cette interdiction, notamment en utilisant les modes de communication actuels et en passant par les influenceurs. Nous préparerons actuellement une campagne à destination des jeunes pour les dissuader de boire de l’alcool et pour qu’il soit désormais mal vu de s’alcooliser, comme il l’est désormais de fumer. »
Plus virulent, Jean-René Cazeneuve lance que « la publicité sur l’alcool est interdite de façon générale et elle l’est aussi sur les réseaux sociaux et sur les sites web. Celle qui cible les mineurs est interdite, et heureusement ! Vous inventez donc une taxe qui ne rapportera rien, puisque les acteurs de ce secteur ne font pas de publicité, ou alors de façon extrêmement limitée dans les revues et les salons professionnels. » L’élu gersois assénant que « derrière la multiplication des taxes, –se cache en réalité votre volonté de nuire à la filière viticole. On vous le répète pourtant : cette filière souffre de la déconsommation, des taxes et des aléas climatiques, mais vous en rajoutez en lui mettant la tête sous l’eau. C’est insupportable ! Ce que vous dites est faux, parce que la publicité pour l’alcool est interdite. »
« Il faudrait savoir : soit c’est interdit, soit c’est extrêmement limité » réplique Hadrien Clouet, rapportant qu’« en l’occurrence, la publicité en faveur de l’alcool existe sur les réseaux sociaux, sur YouTube, dans le monde des influenceurs. Le problème, c’est que personne n’est assujetti à l’assiette fiscale en vigueur ! » Dans leurs votes, les députés rejettent majoritairement ces amendements rejetés par la filière. Versez-leur du bon vin, ils vous feront de bonnes lois disait Montaigne.




