Le 17 septembre dernier, le ministre de l’Agriculture a annoncé qu’il confiait à FranceAgriMer et à son Conseil d’administration la mission de conduire « une réflexion sur l’avenir des filières agricoles et agroalimentaires ». Suite à cette demande, le Conseil spécialisé de la filière viticole a publié fin décembre 2013 un "rapport d’étape" à cette réflexion stratégique, dont la thématique choisie est "les perspectives de la filière viticole à l’horizon 2025". Ce premier travail dresse un état des lieux et liste les grands enjeux stratégiques pour celle-ci.
Sans surprise, le rapport d’étape pointe du doigt la perte de compétitivité de la filière viticole française ces dernières années, au profit de ses voisins italiens et espagnols. « Sur les trois principaux marchés d’importation que sont l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, la France a vu ses positions se fragiliser au profit de ses deux principaux concurrents dans un contexte de croissance des échanges », résument les auteurs.
En effet, alors que les exportations françaises vers ces pays sont restées plus ou moins stables sur les cinq dernières années, les exportations italiennes et espagnoles ont fortement progressé tant en volume qu’en valeur. La France a ainsi perdu de nombreuses parts de marché mais également sa position de leader.
La part de marché volume de la France baisse continuellement depuis plusieurs années. (©FranceAgriMer)
S’agissant des exportations en valeur, le Conseil rappelle également que la croissance des vins français est surtout « le fait des vins haut de gamme (grands crus de Bordeaux et de Bourgogne, Champagne, etc..) mais dont les volumes sont stables et sans perspective de croissance ». A l’inverse, les vins français "entrée de gamme" sont en baisse de volume face à la concurrence internationale. « Or ces vins sont indispensables aux amortissements des outils de production et à la maîtrise des coûts de production », peut-on lire dans le rapport. Ils permettent en plus de disposer d’un « facing » plus important dans les linéaires de la grande distribution à l’étranger. Parmi les autres faiblesses identifiées, les auteurs dénoncent le « manque d’intégration du segment des vins sans IG dans la stratégie globale de la filière »…. Un segment abordé principalement « dans une logique de repli et sans réflexion sur sa place dans la segmentation et la création de valeur ».
Pas de positionnement de la France sur le créneau du vracLa perte de parts de marché est également à mettre sur le compte du changement dans la nature des produis exportés sur le marché mondial, depuis la crise de 2009 : la France ne s’est pas positionnée sur le créneau du vrac, qui s’est développé depuis cette date, tandis que les exportations de vins conditionnés restent relativement stables. « Cette progression de la demande pour les vins en vrac bénéficie aux principaux producteurs mondiaux en mesure de fournir ces marchés de volume à un prix compétitif : Espagne, Italie et Argentine dans un contexte de repli des disponibilités de vins ». Cette évolution s’opère sous deux formes : des ventes de vin en Bib et d’autre part, des exportations en vrac, réceptionnées dans le pays de consommation par l’entreprise exportatrice elle-même, qui le conditionne ensuite sur le lieu de consommation puis en assure la commercialisation. « Il ne s’agit pas d’exportation de vrac « matière première » mais d’une modification de flux logistiques qui pourrait se maintenir durablement pour les vins d’entrée et milieu de gamme », indique FranceAgriMer.
Pour consulter le rapport d'étape complet
Plus généralement, le rapport dénonce donc la difficulté pour la France à l’exportation, à passer d’un positionnement « haut de gamme » à « une gamme complète de vins ». Contrairement à ses pays voisins, la France a la particularité d’avoir un système de production fondé exclusivement sur les indications géographiques : 90 % de la récolte est centrée sur ce système des signes de qualité, « ce qui interroge sur la capacité d’adaptation de l’offre française à la demande des marchés internationaux ». Un modèle de développement qui par ailleurs implique une « faible » productivité du vignoble. La moyenne des rendements en France est structurellement et culturellement faible, voire très faible, par rapport à ses concurrents. Couplés à des charges en hausse, les coûts de production sont donc affectés de façon importante, pénalisant la compétitivité des produits et des entreprises... Et ce, alors que certains pays producteurs concurrents bénéficient de facteurs avantageux : naturels (moins de traitements nécessaires) et humains (coût de la main d’œuvre).
L'Italie et l'Espagne plus compétitifsIn fine, « l’Italie et l’Espagne sont plus compétitifs en termes de prix et plus agressifs sur les marchés de grande consommation, résume le Conseil. La capacité de conquête de la filière française demeure donc moins adaptée à la demande que ses concurrents, avec une faible présence de marques fortes ou de grands groupes ».
Enfin, parmi les autres faiblesses identifiées, la stratégie « tout vin et eau-de-vie » choisie par la France au fil des années, et le délaissement de toutes les productions alternatives : « La France n’a plus aujourd’hui de capacité à produire, avec une réelle efficacité économique, des vins de base mousseux, vins pour brandy ou alcool, vins aromatisés, jus de raisin, Mcr. Or, il existe une demande sur ces marchés spécifiques qui représentent un volume de production non négligeable ».
Cette stratégie a également eu comme conséquence de rendre la France beaucoup plus dépendante du marché de la consommation de vin, « sans véritable capacité d’être présente sur les autres marchés, ni outils industriels adaptés ». L’Argentine utilise le marché du moût concentré comme élément d’adaptation de sa production, l’Espagne est présente sur le marché du brandy et l’Italie est un pays fortement producteur de moûts concentrés et moûts concentrés rectifiés.
Le rapport met aussi en exergue une population vieillissante de chefs d’exploitation et leurs difficultés à transmettre leurs exploitations, avec 60 % des plus de 50 ans qui ne savent pas qui prendra la succession ou pensant que l’exploitation va disparaître.
La suite de ce travail, qui consiste à « établir un plan stratégique complet, pertinent et nourri d’un plan d’actions », pourrait être présenté, pour avis, au conseil de la filière viticole de juin 2014.
Rapport « stratégie filière viticole pour 2025 »
Les « enjeux stratégiques » et les « objectifs » qui en découlent
Suite à cet état des lieux, des débats ont encore lieu actuellement, à partir desquels la filière déterminera précisément « ses enjeux et objectifs », et déclinera concrètement les « actions nécessaires pour les atteindre ». Néanmoins, plusieurs enjeux stratégiques ont déjà été identifiés, avec des objectifs qui en découlent :
A – Les enjeux de l’économie viti-vinicole globale
Objectif 1 - Acceptabilité sociale de la filière
Objectif 2 - Prise en compte de l’environnement et du développement des territoires
B – Les enjeux de l’économie de la filière viticole
Objectif 1 - Développer la prospective / l’analyse économique et favoriser leur accès comme outils économiques d’aide à la décision
Objectif 2 - Développer l’innovation, la recherche et le développement
Objectif 3 - Développer une dynamique « bassin viticole » autour d’un projet économique
Objectif 4 - Anticiper et gérer les risques et les crises (sanitaires, climatiques…) en développant des outils de crise à l’amont et à l’aval de la filière
Objectif 5 - Favoriser une meilleure gestion du potentiel viticole français
Objectif 6 - Conforter une gouvernance nationale et une déconcentration des lieux de concertation et de décision au niveau des bassins de production
Objectif 7 - Promouvoir l’image des vins français sur tous les marchés internationaux
Objectif 8 - Développer notre présence sur les marchés à l’export
C – Les enjeux pour les entreprises et les exploitations viticoles françaises
Objectif 1 - Favoriser l’installation de jeunes viticulteurs actifs pour assurer le renouvellement des générations
Objectif 2 - Favoriser le maintien d’exploitations viticoles viables sur l’ensemble des zones viticoles tout en assurant une gestion économiquement et écologiquement performante des exploitations et des entreprises
Objectif 3 - Favoriser les liens contractuels entre producteurs et metteurs en marché
Objectif 4 - Développer la restructuration et la rénovation du vignoble français
Objectif 5 - Favoriser l’accès à l’innovation et développer l’investissement dans les exploitations et dans les entreprises viticoles
Objectif 6 - Assurer la gestion des sous-produits de la vinification
Objectif 7 - Assurer la gestion de l’eau