Pays d’Oc

3 €/hl en dessous du prix d’orientation des vins HVE : des négociants "fixent consciemment un prix qui ne permet pas de payer dignement les vignerons"

es premières transactions de vin en vrac pour Pays d'Oc indiquent que les orientations de prix tout juste fixées ne sont pas respectées (voir encadré).

Fabien Castelbou : Nous avons beaucoup travaillé pour la mise en place des accords de durabilité. Cela nous a permis de nous assoir à la même table, mais c'était apparemment pour jouer au poker menteur. Dès la signature des accords, il y a eu des propositions de prix en dessous par certains opérateurs. Pour le bio, il n'y a pas encore assez de contrats, mais pour HVE en rouge et rosé, une partie importante des contrats est conclue en dessous du tunnel de prix des accords, alors qu'il s'agit de prix cohérents avec le marché. On est 3 ?/hl en dessous de l'entrée du tunnel de prix pour HVE. Ce sont encore des volumes faibles, mais c'est un début de tendance.

Les accords ont été signés avec des coûts de revient établis convenant à tout le monde. Alors que le calcul repose sur des rendements élevés par rapport à la réalité du millésime 2025. On se basait sur des enjeux économiques et pas la petite récolte de l'année. Certains gros acheteurs font des offres en dessous du prix d'orientation en toute conscience, alors que des opérateurs, plutôt de petite taille, s'inscrivent dans la durabilité.

Parmi les noms de structures ne jouant pas le jeu, on entend des opérateurs massifs?

Des opérateurs importants n'ont pas souhaité s'inscrire dans les accords de durabilité cette année. Consciemment, ils fixent un prix qui ne permet pas de payer dignement les vignerons. J'ai des remontées de caves coopératives et de vignerons étonnés de pas avoir plus de considération. Il y a une dissonance entre le message de ces prix et les revendications de metteurs en marché voulant être plus impliqués dans la filière pour avoir leur mot à dire (comme sur l'usage des fonds européens pour plus de promotion et moins de restructuration).

Les accords de durabilité ont été validés juste avant la manifestation de Béziers du 15 novembre. La colère y grondait déjà sur les prix en Pays d'Oc?

La colère est énorme. Elle était déjà très forte à la base, du fait des difficultés économiques. Et si en plus elle est amplifiée par le sentiment d'injustice et d'incohérence de la part des partenaires qui ne jouent pas le jeu alors qu'ils demandent plus de responsabilités? La plus grosse déception du vignoble, c'est que pour 3 ?/hl sur les vins en HVE, on passe à côté d'une communication positive sur la répartition équitable de la valeur dont on a besoin pour réenchanter les consommateurs.

Votre message aux metteurs en marché est donc de ne pas casser un outil tout neuf et de s'en tenir à la parole donnée ?

Il faut s'en tenir au minimum : faire perdurer la filière dans laquelle on s'inscrit. On a bien calculé les coûts de revient sur des rendements qui ne sont pas faits cette année. Pour 2025, la rentabilité ne sera pas là pour une bonne partie de nos vignerons. Il y a urgence à appliquer des prix qui permettent d'arrêter de détruire l'économie. Maintenant qu'on s'est assis à la même table, il faut arrêter le poker menteur et jouer le même jeu. Sinon on ne pourra pas travailler au niveau de la filière sur le plan stratégique régional ou l'évolution dans l'interprofession de la marque Pays d'Oc. On a besoin de rétablir un climat de confiance. On a des doutes sur le passage de la première marche qu'est le juste prix rémunérateur.

Il faut casser la spirale négative de destruction de valeur, il y a urgence. Ça a le mérite de mettre les acteurs devant leurs responsabilités. Le marché se fait au vu de tous : entre les acteur vertueux et ceux qui continuent à vouloir jouer le marché, mais qui oublient derrière les humains et les territoires qui vivent de ça.

À Bordeaux, l'interprofession ne s'est pas saisie de l'article européen 210 bis permettant la mise en place de prix d'orientation en bio et HVE en estimant que le dispositif étant déclaratif, sans engagement, il représentait alors une perte de temps alors qu'il valait mieux se concentrer sur l'élargissement d'Egalim aux premiers contrats vin en vrac et à l'application de l'article 172 ter sur les prix recommandés en AOP et IGP?

Ça peut s'entendre, mais ces dispositifs ne sont pas exclusifs les uns des autres. Si la loi Egalim évolue, le 210 bis sera une première marche pour avoir des indicateurs dans l'interprofession. L'accord de durabilité a d'autres intérêts. J'ai des adhérents qui sortent des contrats d'achat d'il y a 20 ans qui montrent qu'il n'y a pas eu de valorisation depuis alors que les coûts de production ont augmenté. Le suivi des coûts de production permis par les accords de durabilité va permettre de chiffrer ces évolutions.