e moins qu’on puisse dire, c’est que le gouvernement argentin n’y est pas allé de main morte. « Sur un total de 1 207 réglementations relatives au vin, 973 ont été abrogées », annonce un communiqué du ministère de l’Agriculture, en collaboration avec le ministère de la Déréglementation et de la Transformation de l’Etat. Résultat ? « Un nouveau système fondé sur la liberté, la responsabilité et la concurrence ». Estimant que bon nombre des textes existants étaient « obsolètes », l’Etat a œuvré à la création d’un recueil de réglementations « révisant, actualisant et simplifiant l’ensemble des réglementations existantes ». Conséquence : « Cette réforme redéfinit le rôle de l’Institut National de la Vitiviniculture (INV). L’agence cessera d’intervenir dans les phases initiales et intermédiaires de la production, pour se concentrer exclusivement sur le contrôle du produit final et s'assurer que les vins sont propres à la consommation et n'ont subi aucune falsification. Autrement dit, l'INV ne supervisera plus l'ensemble du processus de production et se consacrera à garantir la qualité du vin destiné aux consommateurs ».
Le communiqué dénonce les « contrôles et procédures excessifs imposés par l'INV » qui « ont engendré des coûts, des retards et une perte de compétitivité », invoquant un « constat partagé par l’ensemble du secteur ». Ce consensus n’apparaît pas clairement dans les différentes déclarations professionnelles émises depuis la publication de la résolution. Bodegas de Argentina, qui fédère quelque 250 caves à travers le pays, revendique d’être le premier organisme professionnel à faire une déclaration officielle : « L’organisation considère ces changements comme une modernisation essentielle pour le secteur et souligne son engagement en faveur de la transparence, de la qualité et de la compétitivité », pose un communiqué. « Après une analyse technique, nous avons confirmé que les nouveaux critères de contrôle, axés sur la phase finale de commercialisation, ne présentent aucun risque pour la qualité ou la sécurité des produits. Au contraire, ils garantissent la traçabilité de la vigne à la bouteille et contribuent à améliorer la compétitivité du secteur », affirme l’association.
D’autres organisations professionnelles sont bien moins convaincues, estimant que l’instauration de contrôles facultatifs représente une menace pour l’authenticité des vins. En effet, la réforme « permettra d’éviter environ 5 000 inspections sur site par an », note le communiqué du ministère. « La déclaration hebdomadaire de production sous serment, les amendes et pénalités pour soumission tardive des déclarations sous serment, ainsi que les permis de transit ont été supprimés (les vignobles généraient plus de 140 000 permis de transit par an pour transporter leurs produits, qu'ils devaient demander à l'Institut). Avec cette nouvelle réglementation, les certifications d'origine, de millésime et de cépage deviennent facultatives. L'INV continuera de délivrer les certifications requises pour les exportations, conformément aux exigences des pays de destination ». Une dérégulation que l’ancien président de l’INV, Martin Hinojosa estime « pourrait engendrer plus de risques que d’avantages ». Dans des interviews radiophoniques, le vigneron et viticulteur évoque une potentielle dégradation de la qualité des vins et une concurrence déloyale entre producteurs peu scrupuleux et ceux qui respectent le nouveau dispositif, sans parler des risques de falsification. Il affirme par ailleurs que l’absence de données pourrait porter atteinte à la capacité de planification du secteur : « Nous n’aurons plus les informations nécessaires pour prendre des décisions stratégiques et serons contraints de décider à l’aveuglette ».
Action en justice
Si bon nombre d’associations professionnelles saluent la suppression de dispositions obsolètes, elles estiment que les procédures relatives à la traçabilité et aux contrôles de la qualité doivent rester inchangées. Les deux principales pommes de discorde portent sur l’abrogation de la déclaration sous serment et le certificat d’entrée de raisin désormais facultatif. Ce dernier, délivré par l’INV, certifie l’origine géographique et les caractéristiques des raisins, suivant chacun des étapes de la production jusqu’aux vins. Interrogé par les médias locaux, le président de l’association des coopératives viticoles (Acovi), Fabian Ruggeri, affirme qu’il est « inconcevable que certains le fassent et d'autres non, car sinon toute la traçabilité, les informations et les statistiques dont nous disposons dans le secteur seraient perdues. Ce certificat est le fondement de notre secteur vitivinicole, car il nous renseigne précisément sur ce que nous produisons et nous permet de mettre en œuvre des politiques publiques si nécessaire ». Partant de là, l’Acovi et d’autres organisations professionnelles ont intenté une action en justice pour suspendre l’application de la résolution. Et d’insister par ailleurs que la dérégulation ne permettra pas de réduire les coûts, bien au contraire : « Les provinces devront prendre en charge les contrôles actuellement assurés par l’INV. Nous ne pouvons pas travailler sans information ; elles devront donc mettre en œuvre des mécanismes de contrôle des quantités importées et produites », et ce, alors que les systèmes actuels sont déjà numérisés et intégrés.
Intervenant à quelques semaines du début des vendanges, cette dérégulation voulue par le gouvernement argentin dépasse largement le seul cadre national. Alors que les débats sur l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union Européenne atteignent un point de tension élevé, les questions d’harmonisation des normes et de distorsions de concurrence cristallisent les inquiétudes d’une partie du monde agricole européen.




