Avec ça, on n’est pas puni si on ne boit pas de vin », a coutume de dire Romain des Grottes quand il présente Antidote et Antilope, ses deux pétillants à base de jus de raisin. « Leur succès est venu en partie du fait qu’on les déguste dans des verres à vin, à l’apéro ou à table, avec tout le monde. » À la tête du Domaine des Grottes, sur 9 ha bio à Saint-Étienne-des-Oullières, dans le Rhône, il vend dix fois plus de ces deux boissons sans alcool que de vins, soit 180 000 cols cette année. Nez, arômes, température de service et accords conseillés : il les présente avec autant de soin que ses vins et les accompagne de fiches techniques.
C’est au début des années 2010 qu’il se lance dans le jus de raisin. Mais le produit, trop sucré, lui déplaît. « Pour abaisser la sucrosité et apporter de la complexité, je l’ai dilué avec des infusions d’adventices qui poussent entre les rangs de vignes », relate ce féru de botanique passé par l’école lyonnaise des plantes médicinales. Après plusieurs essais, il fixe la recette d’Antidote en 2017. « Les Français l’ont boudée : elle est partie à l’export, qui absorbe déjà 85 % de mes vins. »
La croissance des ventes l’a forcé à sourcer ailleurs en France la plupart des ingrédients. « Une partie des raisins vient encore de mes vignes, mais la proportion varie selon le millésime car je priorise mes vins, explique-t-il. La notion de terroir importe moins pour les jus. »
En 2024 naît Antilope, une boisson moins sucrée qu’Antidote – 40 g/l de sucres, contre 80 g/l – destinée à accompagner les repas. Afin de ne pas perdre en complexité ni en longueur en bouche, Romain puise dans les plantes de montagne. Au bout d’un an et demi, Antilope atteint un tiers des ventes d’Antidote.
« Je n’hésite pas utiliser des ingrédients de qualité car ils pèsent assez peu dans le coût de production face aux frais de mise en bouteille, d’habillage, de stockage et au poids de l’administratif, confie-t-il. La difficulté est d’anticiper au moins un an à l’avance les achats et la disponibilité des prestataires de façon à avoir mes jus en fin d’année, car le gros des ventes a lieu pour les fêtes et le dry january. »
Le succès de ces pétillants permet à Romain des Grottes d’aborder plus sereinement la crise du vin. « Ces produits sont moins tributaires du milieu et de la météo que le vin, et s’accommodent de raisins moches, ajoute-t-il. En revanche, même s’il y a moins de lien au terroir dans le sans-alcool, il faut du lien humain ; alors j’explique ces boissons et raconte leur histoire. »
Aujourd’hui, les boissons sans alcool représentent 80 % de son chiffre d’affaires. « J’ai une bonne place sur le marché car je suis parti tôt, analyse-t-il. Mais j’aurai du mal à faire le poids face à l’arrivée de gros acteurs car je marge assez peu sur ces produits. » Une avance que Romain des Grottes, qui se définit toujours comme vigneron, compte bien garder : il prépare une troisième boisson agrémentée de plantes qui réchauffent : piment, poivre… dans l’idée de recréer la sensation de l’alcool.


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