Terra Provincia, coopérative basée à Cuers, en Provence, qui produit 60 000 hl par an, l’intelligence artificielle est entrée dans le quotidien des maîtres de chai. Depuis les vendanges 2025, ils testent Oenopilot, un nouvel outil développé par leur directeur Florian Lacroux.
« J’ai commencé par créer une plateforme où centraliser et standardiser toutes les données sur nos différentes cuves, relate celui-ci, à savoir les données analytiques des vins (TAV, acidité totale, pH…), leur profil aromatique défini d’après des mots-clés (floral, fruits blancs, fruits rouges, amylique, agrume…), et les notes sur 5 qu’ils ont obtenues concernant différentes caractéristiques (équilibre en bouche, longueur en bouche, intensité olfactive…). Partant de là, l’IA est capable d’effectuer une synthèse de toutes ces données et de nous donner une vision globale de chaque cuvée avec une note moyenne. »
Parallèlement, Florian Lacroux a renseigné les profils des vins souhaités par ses clients : profil aromatique, teneur en alcool, acidité… Puis il a créé un algorithme qui fournit des propositions d’assemblage correspondant à chaque demande. « Ce module calcule automatiquement les caractéristiques analytiques des assemblages qu’il propose, indique-t-il. Si jamais on souhaite un taux d’alcool inférieur pour une cuvée, on lance une nouvelle requête et le module nous suggère d’autres assemblages. On peut faire de même en demandant un profil plus typé fruits blancs, par exemple. »
Selon Florian Lacroux, le résultat est bluffant. « On gagne un temps fou, l’outil suggère des assemblages auxquels on ne pense pas toujours. Mais bien sûr au final, c’est nous qui décidons. »
Autre avantage de l’algorithme : « Il analyse nos décisions, les propositions d’assemblage que nous avons retenues et celles que nous avons rejetées, afin d’apprendre et de s’améliorer, précise l’œnologue. En s’enrichissant chaque année de nouvelles données, l’outil deviendra ainsi de plus en plus pertinent. Nous gardons aussi en mémoire tous les assemblages proposés par l’outil et les décisions que nous avons prises. C’est la vraie valeur de ce dispositif. »
Vu l’engouement suscité par cette innovation chez les quatre entreprises qui l’ont testée – deux caves coopératives, un courtier et un négociant –, Florian Lacroux projette de la mettre sur le marché d’ici à la fin du premier trimestre 2026. Pour le moment, elle n’est configurée que pour les blancs et les rosés, mais une extension pour les vins rouges va être développée.
Dans le Beaujolais, Bertrand Chatelet, responsable secteur œnologie à l’IFV, a testé un outil totalement différent : IAssemblage, une IA d’aide à la réalisation d’assemblages conçue par la start-up M & Wine. L’expérimentation a porté sur la réalisation d’un assemblage à partir de cinq cuvées : deux beaujolais, l’un de 2022 et l’autre de 2023, deux beaujolais village, de 2022 et 2023, et un chenas de 2022.
M & Wine s’appuie sur la signature minérale des vins. La start-up a analysé la composition de quelque 50 000 vins au regard de quarante minéraux (issus de la table périodique des éléments : carbone, azote, fer, cuivre, sodium, etc.) – ces crus ont été dégustés et notés lors de concours ou à d’autres occasions –, et établi une corrélation entre le profil minéral et la note obtenue. « Il existe une corrélation entre cette signature numérique et la qualité du vin, affirme Théodore Tillement, cofondateur de M & Wine, car les éléments minéraux sont liés au terroir, aux process de vinification, ils signent l’origine et la qualité des vins. »
Lors de l’expérimentation menée en Beaujolais, M & Wine a établi la signature minérale des cinq vins puis demandé à IAssemblage de réaliser le meilleur beaujolais, par assemblage de ces cuvées, sans donner de consigne plus précise. De son côté, Bertrand Chatelet et ses équipes ont réalisé trois assemblages qui leur semblaient répondre à l’objectif fixé. Les œnologues de la Sicarex ont ensuite dégusté les quatre assemblages.
Verdict : « L’assemblage préconisé par l’IA a été jugé le meilleur des quatre, avoue Bertrand Chatelet. L’outil a notamment a intégré une petite proportion d’une cuve que nous avions écartée ». L’expérience a évidemment vocation à être renouvelée afin de vérifier qu’il ne s’agit pas d’un coup de chance, Bertrand Chatelet en convient. « Nous sommes au début de l’exploration du lien entre signature minérale et qualité. »
« On peut demander à notre IA de réaliser un assemblage correspondant à un profil aromatique donné, détaille Théodore Tillement, car nous pouvons mettre en rapport le profil des vins avec leur signature minérale. De même, nous pouvons proposer des assemblages susceptibles de séduire un public féminin car nous avons dans notre base de données les vins bien notés par les femmes et leur profil minéral. Plus notre base de données va s’enrichir, plus l’outil sera performant. » L’assemblage assisté par IA n’est donc déjà plus de la science-fiction.


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