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Les vignerons reviennent à la taille courte pour faire des économies
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Taille rase, prétaille
Les vignerons reviennent à la taille courte pour faire des économies

Poussés par la nécessité de faire des économies, des vignerons testent la prétaille, voire la taille mécanique. Certains avec beaucoup de prudence, d’autres avec plus d’audace. Ils racontent leur expérience.
Par Benoît Caurette Le 01 décembre 2025
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Les vignerons reviennent à la taille courte pour faire des économies
Alexis Brisson dans ses vignes à Châteaubernard (Charente), le 17 novembre 2025. - crédit photo : Benoit Caurette
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’était le rendez-vous de l’hiver dans le vignoble charentais. Quatre-vingts viticulteurs se sont retrouvés mi-février à Châteaubernard, aux portes de Cognac, pour parler prétaille et taille rase de précision. Organisée par la Fédération des Cuma des Charentes, cette démonstration traduisait le retour d’un réel engouement pour la mécanisation de la taille.

« Un intérêt que l’on n’avait pas vu depuis de nombreuses années », note Pierre Forgeron, conseiller viticole indépendant à Segonzac (Charente), né du besoin urgent de réduire les coûts sur un territoire frappé par les taxes américaines, la chute des ventes en Chine et supportant des stocks pléthoriques. Dans ce contexte, tailler court et renoncer au guyot devient une nécessité.

Un gain de temps avec la mécanisation

À Châteaubernard, Alexis Brisson, du domaine des Fonds Douces, a franchi le pas après un voyage d’étude dans le Gers. « En février dernier, j’ai passé 30 ha sur 75 en taille rase de précision, explique-t-il. En cette période difficile où on nous demande de produire moins, je gère mon vignoble en mode survie. Cette saison, je vais rester sur la même surface, mais en remettant certaines vignes en taille longue pour les relancer. »

Un travail de préparation la première année

Selon lui, la mécanisation réduit considérablement le temps de travail : « Dans le Gers, une personne taille un hectare par jour en repassant derrière la TRP (taille rase de précision). C’est l’objectif que je voudrais atteindre. Mais, à l’heure actuelle, il nous faut encore trois personnes pour tailler un hectare par jour. La première année, il y a tout un travail de préparation des parcelles à la taille rase qu’il faut prendre en compte. » Déjà l’économie est tangible : 1 000 € en moins par hectare sur les postes de taille, tirage et attachage, petites fournitures comprises. « Je suis passé de 15 000 € à 8 000 € de prestation extérieure », ajoute Alexis Brisson.

Le vigneron, dont le domaine est presque entièrement planté d’ugni blanc, a investi 26 000 € dans une tailleuse Pellenc PL-TRP montée sur porteur qu’il espère amortir rapidement. Son essai est prévu pour au moins trois ans, le temps de juger la réaction des vignes et l’évolution du marché. « Si les vignes s’habituent bien et que tout est en conformité, je pense laisser comme ça », déclare-t-il. Néanmoins, durant cette période expérimentale, il va conserver les coursons dans la fourche (au centre) de ses plants d’où il prendra les bois pour repasser au guyot double, si besoin. Pour le moment, le rendement n’est pas au rendez-vous. « Pour mon premier essai, j’ai obtenu 25 hl/ha, c’est catastrophique, avoue-t-il. Je tâtonne encore. J’ai laissé un ou deux yeux par courson et j’ai réglé la tailleuse trop bas. Je pense qu’il faut se caler sur cinq yeux. »

Certaines parcelles étaient peut-être aussi trop jeunes pour supporter des tailles si courtes. Depuis le 10 novembre, son équipe repasse en taille guyot 4 ha d’ugni blanc d’une parcelle située à Merpins et plantée entre 2015 et 2021. « Elle n’a donné que de tout petits bois, bien trop rapprochés. Si on y repasse la machine, il restera bien trop d’yeux », justifie-t-il.

Alexis Brisson est un audacieux. « La taille rase de précision reste marginale à Cognac, mais la prétaille revient clairement en grâce », observe Jean-Louis Thévenon, dirigeant de Viti Bio Services, à Châteaubernard. Son entreprise a vu les surfaces traitées tripler en un an, atteignant 250 ha. « La prétailleuse avait été reléguée aux orties. Aujourd’hui, elle retrouve sa place. »

« La dynamique va s’amplifier »

À Barret, dans le sud du département, la Cuma Esab (350 membres, dont 200 viticulteurs) vient d’investir 44 000 € dans une nouvelle prétailleuse. « Nous devons être en phase avec la demande des adhérents », explique son président, Éric Brangier. La structure, fondée en 1968, a déjà possédé deux prétailleuses par le passé, mais la demande s’est effondrée dans les années 2010 quand il a fallu produire davantage de cognac. « Il y a vingt ans, on prétaillait trois fois plus de surfaces qu’aujourd’hui. »

Après un creux prolongé, la demande repart. En un an, la Cuma est passée de 10 à 30 ha prétaillés la saison dernière. « Tout indique que la dynamique va s’amplifier », assure le président, qui lui-même passe à la taille courte sur sa propriété de 25 ha avec, comme beaucoup d’autres, la plus grande prudence. « Je ne veux pas tout basculer d’un coup », indique-t-il. Ce sont les vieilles vignes qu’il convertit en premier « car on pourra les sacrifier si les choses tournent mal ». De plus, il ne les passe pas durablement en cordon, mais alterne un an sur deux avec la taille guyot, pour maintenir un potentiel de production important tout en limitant les risques de vieillissement prématuré du bois. Mais aussi parce que ses fils porteurs ne sont pas dimensionnés pour supporter les cordons lorsqu’ils auront pris de l’âge et du poids.

« On manque de recul sur la conduite de notre cépage en cordon, rappelle Éric Brangier. Dans les années 1995 à 2000, lorsqu’on prétaillait, c’était déjà un an sur deux, en alternant toujours avec la taille longue. Si demain la filière repart, il faudra pouvoir produire davantage. »

Cette année, Éric Brangier a récolté 97 hl/ha en moyenne, soit 60 hl/ha dans ses vignes taillées en cordon contre 118 hl/ha dans celles menées en guyot double. En contrepartie, il a économisé 600 €/ha – 400 €/ha pour le tirage des bois et 200 €/ha pour l’attachage des baguettes dans ses vignes plantées à 3 300 pieds/ha. « Les deux premiers yeux de l’ugni blanc ne sont pas fructifères », rappelle-t-il pour expliquer l’écart de rendement. Un problème qui pourrait être contourné en prétaillant plus haut.

Dans le Libournais, un viticulteur qui souhaite rester anonyme, transforme progressivement ses merlots pour les passer à la taille courte. Pour lui aussi l’heure est aux économies, auxquelles s’ajoute la réduction de son vignoble afin de retrouver un équilibre avec sa capacité de commercialisation.

Allongement des cordons

« Les vieilles vignes sont les premières concernées », explique ce vigneron qui veut réduire ses coûts tout en relevant la production de ces vignes avec beaucoup de manquants. Pour cela, « il faut un courson tous les 20 cm tout le long du palissage et combler les trous. On y va petit à petit », relate-t-il. Un comblement qu’il obtient non pas en complantant, mais en allongeant les cordons des pieds bien portants jusqu’à ce qu’ils rejoignent leurs voisins. Pendant la conversion, il est donc amené à tailler des pieds en taille courte et en taille longue, en conservant des baguettes à l’extrémité des cordons pour allonger ces derniers. Autant dire que l’affaire n’est pas simple et qu’elle prend du temps. Cet hiver, 5 ha sont enfin prêts pour la prétaille après trois ans de transformation.

L’hiver dernier, il a voulu passer la prétailleuse après avoir taillé ses vignes pour éviter d’avoir à tirer et à broyer les bois. « Cela n’a pas bien marché, les bois se sont pris dans la machine », rapporte-t-il.

Des mesures radicales

À cinquante kilomètres de là, à Saint-Avit-Saint-Nazaire, aux portes de la Dordogne, Thibaud Lechond a été plus radical. Il y a trois ans, il a passé tout son vignoble en taille rase de précision après avoir investi autour de 20 000 € dans une tailleuse Terral. À l’époque, il cultivait 30 ha dont 80 % de merlot. Mais il a dû revoir sa surface à la baisse. « L’an dernier, entre décembre et mars, nous avons arraché beaucoup de vieilles vignes pour passer à 17,5 ha », explique-t-il.

Deux mesures motivées par la conjoncture économique : « Nous voulions réduire les coûts et la main-d’œuvre, compliquée à trouver. Avec la taille rase, j’économise entre 500 et 800 €/ha par an, ce qui n’est pas rien », assure-t-il. Un résultat bienvenu alors que la partie vigne de cette exploitation qui s’est diversifiée dans le kiwi (10 ha) et les céréales (150 ha) ne génère plus que 75 000 € de chiffre d’affaires annuel, dont il faut déduire environ 40 000 € de charges.

Autre décision motivée par la conjoncture et les difficultés à contrôler le mildiou : Thibaud Lechond est revenu, cette année, à la viticulture conventionnelle après cinq années de conduite en bio. Si bien que ses rendements sont passés à 70 hl/ha quand ils oscillaient entre 40 et 50 hl/ha avec ses vignes en bio taillées en guyot. Thibaud ­Lechond apprécie aussi de pouvoir « attendre le plus tard possible, presque à la fin mars, pour tailler », et cela « en moins d’une semaine ». Un gain de temps qui « permet de se consacrer aux autres activités que la vigne ainsi qu’à l’entretien du matériel. »

Ce vigneron en profite également pour effectuer quelques prestations pour amortir sa machine. Il a ainsi taillé une soixantaine d’hectares l’an passé, à 280 € HT/ha pour des rangs espacés de 2,50 m, et 230 € HT/ha pour ceux espacés de 3 m. « Cela paye ma taille, et il me reste même un petit bénéfice », apprécie-t-il.

En dépit de témoignages comme celui-ci, la « taille courte reste bien timide en Gironde où elle est apparue dans quelques propriétés il y a tout juste cinq ans, se désole David Clerdan, conseiller viticole et agroéquipement à la chambre d’agriculture du département. Les économies que génère la mécanisation sont pourtant évidentes et nous pensions qu’elle connaîtrait davantage d’engouement. » Selon ses calculs, pour dix hectares, en comptant tous les postes de dépense (temps de travail, main-d’œuvre, amortissements, gasoil, prestataire ou matériel de location, consommables divers), le coût passe de 1 387/ha/an en taille guyot à 813 €/ha/an en taille mécanique. À croire que ce simple argument ne suffit pas à accélérer les conversions.

Hécatombe chez les tailleurs saisonniers

Les économies recherchées par les viticulteurs provoquent une « véritable hécatombe » chez les tailleurs d’Agem 16. Céline Malhouroux, animatrice, parle de 70 % de demandes en moins pour ce groupement d’employeurs de MSA Services des Charentes qui peine à donner du travail à ses cinquante tailleurs. « Nous manquons de missions. Des tailleurs nous ont quittés, d’autres réfléchissent à une reconversion. Les vignerons font des économies de personnel. Ils taillent eux-mêmes ou ont recours à la mécanisation qui précède souvent de peu un arrachage pur et simple des parcelles concernées. » Jean-Louis Thévenon, dirigeant de Viti Bio Services, à Châteaubernard, note pour sa part l’émergence d’une concurrence sur la prétaille qu’il juge déloyale. « Des viticulteurs taillent chez leurs voisins pour 35 € de l’heure alors que les pros sont à un prix incompressible de 70 €/h.» Un viticulteur charentais confirme « rendre ce service pour amortir un peu [sa] machine, mais à la marge et à des prix conformes au marché ».

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