xit les menaces, les coups de fil et les e-mails à répétition. Vincent*, 45 ans, à la tête de 26 ha en AOC Castillon Côtes de Bordeaux, 95 % écoulés au négoce, pousse un « ouf ! » de soulagement : depuis octobre dernier, son exploitation est placée sous mandat ad hoc, une procédure dans laquelle un mandataire essaie de trouver un accord avec ses créanciers. « Le Crédit Agricole ne va plus me harceler », lâche-t-il.
Son endettement est de 400 000 €. C’est en 2024 que les relations tournent au vinaigre avec la banque. Vincent sollicite un prêt (un de plus) pour combler sa trésorerie. La banque lui propose 200 000 € sur douze ans mais exige des cautions. Refus du viticulteur. Alors la banque lui demande ce qu’il a à vendre, histoire d’alléger sa dette et de réduire le montant du prêt. « J’ai eu droit à un interrogatoire serré. Je devais faire un effort, en me séparant le plus vite possible d’un petit bâtiment qui me servait de stockage. Pendant quatre mois, la banque m’a appelé sans cesse pour savoir où en était la vente. Je l’ai finalement vendu 75 000 €… aussitôt récupérés par la banque. »
À cette pression, se sont ajoutées des pratiques qui ont choqué le viticulteur. En septembre dernier, un négociant lui verse 39 000 € issus de la vente du millésime 2024. « J’ai pu payer certains fournisseurs, puis la banque m’a pris les 10 000 € qui restaient sans rien me dire », lâche-t-il, amer.
La Vigne a informé le Crédit Agricole Aquitaine de ces pratiques. Par e-mail, le service communication nous a répondu que la banque « réaffirme son rôle d’accompagnateur des viticulteurs en difficulté. Notre priorité est de rechercher des solutions adaptées pour préserver les exploitations […] Nous condamnons toute forme de pression excessive, et veillons à ce que nos équipes agissent dans le respect des personnes et des règles professionnelles ».
Sur le terrain, c’est une autre affaire. Antoine*, 41 ans, 30 ha et 800 000 € d’encours au Crédit Agricole, garde en mémoire ce soir de mai dernier, lorsqu’il consulte son relevé de compte. Mauvaise surprise : la banque avait déjà prélevé les 30 000 € de prime d’arrachage qu’il avait touchés quelques jours plus tôt.
« Non seulement la banque n’a cessé de nous harceler, de menacer de bloquer nos comptes, mais elle a pris la prime d’arrachage sans m’avertir, dénonce-t-il. Elle a pompé le fric direct. » À sa demande, depuis février dernier, son exploitation est en redressement judiciaire. D’une certaine façon, il se sent ainsi protégé. « Avec cette procédure, c’en est fini des pressions exercées par la banque », confie-t-il.
Amélie*, 45 ans, qui exploite 23 ha en appellation Bordeaux, ne souhaite pas indiquer son niveau d’endettement. Tout juste explique-t-elle qu’il est « gros ». Pour cette viticultrice qui vend presque toute sa récolte en vrac, les difficultés commencent en 2021 quand le négoce réduit ses achats. À la fin juillet cette année-là, alors qu’elle avait demandé un nouveau crédit, sa conseillère bancaire s’invite chez elle flanquée d’un « expert » viticole. Feu nourri de questions : « Quel est le salaire de votre compagnon ? Vous détenez une maison avec votre famille. Combien vaut-elle ? Pourriez-vous la vendre ? ».
« J’ai subi une pression maximale, se souvient-elle. J’étais sur le gril. J’étais perdue, d’autant qu’ayant tous nos comptes dans la même banque, la conseillère avait la réponse à toutes ses questions. Elle savait que nous avions un bien sur le bassin d’Arcachon. Toutes ces questions étaient destinées à me déstabiliser et à faire pression. »
Finalement, à la fin du mois d’août, la banque débloque 50 000 € d’avance de trésorerie, conditionnée à un apport personnel de 20 000 €. La famille répond présente, comme elle l’avait déjà fait au printemps précédent. Le 4 novembre, l’exploitation est placée en procédure de sauvegarde. Amélie va pouvoir réorganiser sa dette et poursuivre son activité. « C’était la seule issue pour que la banque arrête son harcèlement », confie-t-elle.
Nadine*, 42 ans, vigneronne sur 19 ha en AOC Cote de Bourg, n’emploie pas le terme de « harcèlement » mais de « pressions permanentes pour récupérer son argent par tous les moyens. Au bout d’un moment, la banque n’est plus un partenaire. Elle n’accompagne plus les viticulteurs ».
Pour elle qui écoule 40 % de sa production au négoce, les difficultés démarrent en 2020 avec une baisse prix du tonneau alors que ses charges augmentent. Cette année-là, sa banque lui propose de regrouper ses cinq prêts en un seul d’un montant de 200 000 €, à condition qu’elle hypothèque ses vignes. Après une évaluation de ses vignes par la Safer, qu’elle a payée, Nadine en apporte la moitié en garantie. « Si j’avais refusé, la banque aurait cessé de m’accompagner, affirme-t-elle. J’ai fait une erreur, j’aurais dû partir à ce moment-là en redressement judiciaire. On était dans le déni. »
Avec un endettement de 800 000 €, la propriété est placée en redressement judiciaire entre mai 2023 et novembre 2024, une procédure dont elle sort avec un plan d’apurement de ses dettes sur quinze ans. Entre-temps, début 2024, la banque a pris des hypothèques provisoires sur l’ensemble des biens des deux associés de Nadine.
En fait, ces pratiques n’ont hélas rien de nouveau. Liliane* se souvient. En 2006, elle crée une propriété de 6 ha. Elle emprunte 50 000 € pour acheter des vignes, puis, 40 000 € pour en planter. Les ventes ne suivent pas. En 2015, sa banque exige le remboursement de ses prêts et la met au contentieux. Acculée, elle met sa propriété en vente. En janvier 2016, elle est convoquée dans les locaux de la banque. « J’ai été reçue dans une salle sans fenêtre, relate-t-elle. J’avais l’impression d’être en garde en vue. Toutes les questions tournaient autour d’une seule chose : quand allez-vous conclure la vente ? C’était de l’acharnement. Aucune humanité. » Des acheteurs acquièrent sa propriété en octobre 2016 si bien que Liliane peut enfin rembourser sa dette. Dix ans plus tard, rien n’a changé pour ces vignerons endettés : leur banque se montre toujours aussi intraitable envers eux.
* Tous les prénoms ont été changés pour protéger l’anonymat des vignerons concernés.
Le collectif Viti 33 prépare un code de bonne conduite qu’il prévoit d’adresser aux banques au début de janvier prochain. Par le biais de ce document, il demandera aux établissements de s’engager à adopter un comportement humain face aux viticulteurs en détresse, de ne pas saisir les comptes personnels, d’avertir au moins quinze jours avant qu’un chéquier ou une carte bancaire soit bloqués. « Il n’est pas question de dénoncer un manque de compétence mais de faire en sorte que nous ayons une ligne conductrice claire, afin d’éviter les drames tels que les suicides », indique Bastien Mercier, vice-président de Viti 33. Et d’avertir : « Si les banques ne réagissent pas, on ne manquera pas de relater leur comportement dans la presse ». De son côté, la Coordination rurale Nouvelle-Aquitaine a adressé un courrier à la ministre de l’Agriculture ce 12 novembre, lui demandant un audit du Crédit Agricole et de la MSA, « afin de faire la lumière sur les méthodes de recouvrements actuelles de ces structures ».


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