’est depuis l’aéroport JFK à New York, en attendant son vol retour vers la France, que Camille Giai nous a livré des nouvelles fraîches du marché américain, le 24 octobre. Le directeur commercial du Château Roquefort à Lugasson, en Gironde, venait d’achever une tournée de dix jours à Washington, New York et en Floride, alternant les rendez-vous avec les importateurs et les minisalons organisés par Business France.
« Je viens une ou deux fois par an, expose-t-il. Aujourd’hui plus que jamais, il est indispensable d’être présent pour soutenir nos importateurs. Le marché est nerveux. Entre la taxe de 15 % sur nos vins et un dollar qui perd environ 12 % par rapport à l’euro, nous avons pris 30 % de hausse et non pas 15. Ici, l’inflation est galopante. Il ne faut donc pas grand-chose pour être remplacé par un concurrent moins cher. »
Le Château Roquefort, qui produit 450 000 cols et expédie 8 % de sa production annuelle aux États-Unis, est challengé sur sa cuvée classique de bordeaux rouge. « Nos importateurs nous ont demandé de baisser nos tarifs, déclare Camille Giai. Nous leur avons dit que c’était impossible car ils sont déjà relativement bas. La conséquence est clairement une hausse du prix pour le consommateur final. Nos vins vendus 15 $ au détail il y a quelque temps sont dorénavant à 20 $. »
Heureusement, son bordeaux blanc Les Roches Blanches, un 100 % sauvignon, s’écoule sans difficulté malgré la hausse de son prix. Pour l’heure, les ventes du château tiennent bon. À l’issue de sa tournée, Camille Giai espère même avoir décroché deux nouveaux clients à Miami.
Pour lui, le plus dur semble passé. « Avant que Donald Trump décide de taxer nos vins, nous avons traversé une longue période d’incertitude, précise-t-il. Pendant plus de quatre mois, aucune palette n’a été expédiée. Depuis la confirmation du taux de 15 %, les ventes ont repris. Nous devrions boucler l’année à l’équilibre, voire en légère hausse grâce aux blancs. »
Au Domaine Bargemone, à Saint-Cannat, dans les Bouches-du-Rhône, Pierre Einaudi, le propriétaire, ne ménage pas non plus ses efforts pour préserver ses parts de marché. Il faut dire qu’il réalise un tiers de ses ventes, soit près de 200 000 bouteilles, de l’autre côté de l’Atlantique dans quarante-trois États américains. « Avec notre importateur, nous avons choisi de partager à parts égales la taxe pour qu’elle ne se répercute pas sur le prix final », explique-t-il.
Son coteaux-d’aix-en-provence rosé, sa première vente sur place, n’a donc pas dépassé 19,90 $ en boutique. « Notre courant d’affaires se maintient, mais tout n’est pas rose, constate Pierre Einaudi. Là-bas aussi la consommation recule, concurrencée par d’autres boissons : les vins sans alcool, les bières artisanales ou les cocktails prêts à être consommés qui ont le vent en poupe auprès des jeunes. »
Pierre Einaudi va donc mettre les bouchées doubles en se rendant davantage sur place. « Notre importateur veut ouvrir de nouveaux États, il faut l’accompagner, précise-t-il. D’autant qu’après avoir été très concurrencés, les rosés de Provence sont à nouveau demandés en raison de leur bon niveau qualitatif. »
Les Domaines François Lurton, à Vayres (33), dont 10 % du CA provient des États-Unis, s’adaptent aussi au contexte. Quand le besoin s’en fait sentir, ils partagent avec leur distributeur le poids de la taxe, en rognant sur leur marge, pour ne pas augmenter les prix au consommateur. Des décisions qui ne sont pas sans conséquence. Afin de compenser la baisse de leur marge, des importateurs réalisent des économies par ailleurs. « Certains réduisent leurs forces de vente, d’autres annulent des séminaires et des événements qu’ils organisaient chaque année dans le but de présenter leurs vins à leurs clients, détaille Arnaud Irigaray, directeur commercial export des Domaines François Lurton. Ils sont donc moins enclins à référencer de nouveaux fournisseurs car cela demande des efforts pour les faire connaître. Comme nous sommes déjà présents sur place, nous tirons notre épingle du jeu. »
Sancerre, en revanche, échappe aux incertitudes et aux ajustements. « Aux États-Unis, Sancerre est devenue une marque et la demande est très dynamique : on nous appelle régulièrement pour avoir du vin, affirme Vincent Creton, directeur de la cave coopérative de Sancerre, si bien qu’il a pu refuser de baisser ses tarifs quand ses importateurs le lui ont demandé. Nos vins sont vendus de 30 à 35 $ selon les cuvées. Dans cette gamme de prix, les consommateurs perçoivent moins les hausses que pour les vins d’entrée de gamme. Nous défendons notre positionnement en expliquant qu’il correspond au juste prix pour que nos vignerons et nos collaborateurs soient correctement rémunérés. »
En quatre ans, la part des ventes aux États-Unis a grimpé de 4 à 28 % du chiffre d’affaires de la cave. Cette année encore, ses ventes continuent de progresser. Pour autant, la cave reste vigilante. « Nous diversifions nos débouchés, en investissant en Asie où nous allons ouvrir un bureau à Bangkok, tout en poursuivant nos investissements aux USA », précise Vincent Creton. Le mois prochain, il se rendra à New York, Seattle et Washington, pour rencontrer ses importateurs. Héléna Berneau, la maître de chai de la cave, l’accompagnera comme elle le fait depuis peu. Sa présence constitue un précieux atout. Les importateurs américains aiment parler avec celle qui fait le vin et pas seulement du prix des bouteilles.
Depuis le 7 août dernier, les États-Unis appliquent 15 % de droits de douane sur les vins de l’Union européenne. Mais avant qu’elle ne soit officialisée, les opérateurs ont réduit les commandes ignorant à quelle sauce ils allaient être mangés. Selon les Douanes, le chiffre d’affaires des exportations françaises a rétrogradé de 8 %, pour s’établir à 99 millions d’euros sur les trois premiers mois de l’année 2025, comparé à la même période l’an passé. En 2024, les USA étaient le premier client étranger pour nos vins, absorbant 15 % des volumes exportés et représentant 21 % de la valeur.


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