’animateur du projet Laccave et directeur de recherche Inrae, Jean-Marc Touzard le souligne bien en préambule du webinaire organisé par Vitisphere et La Vigne le 4 novembre (replay disponible en fin d'article) : « la compétitivité des vignobles est menacée par le changement climatique, avec des impacts qui non seulement s’intensifient, mais se cumulent pour les vignobles du Sud ». Entre baisses de rendement et évolution des profils de vins « dont les qualités sont contraires à la demande (degré plus élevé) », ces impacts affectent autant la quantité que la qualité de la production vinicole.
L’agro-climatologue Serge Zaka appuie cette réalité du changement climatique, par la progression de la sécheresse liée et l’évolution des précipitations. « L’adaptation du vignoble sera différente entre le Nord et le Sud de la France. Avec plus d’eau à l’année au Nord, donc plus de risques d’anoxie racinaire et de risques de mildiou au printemps, alors qu’il y aura moins d’eau au Sud, et plus de risques associés aux chaleurs et sécheresses », détaille l’agro-climatologue. Les problématiques d’extrême sont soulignées par Serge Zaka pour la viticulture, avec la progression des jours supérieurs à 35°C « jusqu’à 40 par an à l’horizon 2100 dans le sud de la France », et la diminution de ceux à moins de 0°C.
Jean-Marc Touzard rappelle donc combien la réduction des gaz à effet de serre est impérative pour stabiliser cette évolution climatique par un très clair « si on aime le vin, on soutient les objectifs de la COP 21 ». La pérennité du vignoble français est donc directement liée à la trajectoire de réchauffement. Si celle-ci n’excède pas +3°C en moyenne sur la tranche 1900-2100, « la viticulture pourra se maintenir dans tous les vignobles français, dont les plus exposés d’Occitanie, au prix d’adaptations de cépages et pratiques agronomiques et œnologiques. Au-delà, seuls quelques terroirs protégés ou ayant su s’adapter se maintiendront », résume donc Jean-Marc Touzard. Serge Zaka souligne également que la vigne et la viticulture peuvent s’adapter, « mais jusqu’à une certaine limite, la meilleure façon restant de limiter les gaz à effet de serre pour ne pas atteindre le scénario des +4°C de moyenne ». Selon le scénario qui se développe, la viticulture se maintiendra dans le sud de la France, « mais au prix d’adaptations de plus en plus contraignantes si c’est le scénario à +4°C qui se profile ».
Les deux chercheurs insistent également sur l’augmentation de la variabilité climatique et ses extrêmes « donc des coups de chaleur beaucoup plus importants », explique Jean-Marc Touzard, et les risques de gel, « en particulier dans le nord de la France, avec près de 20% de probabilité d’année gélive entre 2070 et 2100 », ajoute Serge Zaka. La gestion de l’eau, à économiser et à piloter dans son apport au vignoble, devient évidemment incontournable.
A la tête des 4 800 ha des 4 caves constituant les vignobles Foncalieu, Gabriel Ruetsch s’est posé des questions sur la conduite du vignoble dans la région suite à la 1ère vague de chaleur de l’été 2003. « J’avais connu ce type de vagues de chaleur dans l’hémisphère Sud, mais celle-ci nous a amené à commencer à piloter les dates de récolte en fonction de l’acidité des raisins et la dégradation de l’acide malique, ce qui nous a beaucoup aidé sur la qualité de nos sauvignons blancs», situe-t-il. La plantation d’albarinho et piquepoul noir en 2011, d’artaban en 2016, ou de souvignier gris et monarch en 2018 font partie des pistes d’adaptation qu’il a engagées chez Foncalieu pour s’adapter à l’évolution du climat. Des variétés de type Bouquet connues pour leur petit degré (G9 et G14) ont également été plantées en 2025 en ce sens, pour ne pas perdre de vue non plus une production de vins adaptés au marché.
Les autres voies d’adaptation qu’il développe chez Foncalieu sont le développement des systèmes racinaires profonds pour résister à la sécheresse, ainsi que le choix de sols profonds et rétenteurs d’eau ainsi que les pentes orientées au nord et des rangs orientés est-ouest pour limiter le rayonnement solaire direct sur les baies. Le développement de la canopée est également privilégié pour là aussi protéger les grappes de la lumière directe du soleil. La croissance latérale des rameaux et le port libre (sans trop relever la vigne) sont également préservateurs des grappes, facilitent la circulation du vent, et gardent de la fraîcheur pour les grappes. La gestion du sol et de l’enherbement sont également au centre des stratégies relatives à la préservation de l’eau.
Au-delà de ce cas d’école, Jean-Marc Touzard rappelle « la place importante du monde viticole dans la société, car organisé, composé d’une diversité d’acteurs, de pratiques et sachant faire preuve de créativité », permettant de rester optimiste sur son avenir. Serge Zaka lui emboîte le pas appuyant que, contrairement au nord de l’Afrique et l’Espagne, « la France a un avenir viticole à condition de s’adapter », notamment par le biais des cépages et des porte-greffes. « Climatiquement parlant, il y aura toujours de la viticulture, mais c’est la question économique qui prédominera, par la question des profils de vins produits et leur adaptation aux attentes de consommation, les coûts de production et de protection de la culture », déroule-t-il en forme de conclusion. Il n’existe donc pas une solution uniforme d’adaptation, mais une multitude de solutions complémentaires.
Disponible ici, le replay de ce webinaire permet de revoir en détail tous les sujets abordés par les trois experts du vignoble.



