Deux vins différents de deux vignerons différents ! » s'exclame un restaurateur lyonnais. Le reste de la tablée rit et acquiesce. Chaque dégustateur s'est vu servir deux verres. A gauche, ils décrivent un nectar jaune pâle aux reflets argentés, une fraîcheur et une sensation de minéralité dominante en bouche. A droite, une couleur dorée, un nez boisé, des notes mellifères... Ces deux roussettes du Bugey proviennent de la même cuvée. Celle de gauche vient d'être remontée des grottes du Cerdon (Ain), après trois ans sous terre. Celle de droite a vieilli en cave. A l'arrivée, deux vins différents ayant chacun ses adeptes. Le sommelier Meilleur Ouvrier de France Gaëtan Bouvier, qui anime la masterclass de dégustation ce 4 novembre, dit être « tombé de sa chaise » en comparant en avant-première les bouteilles « en grotte » et les témoins.
Pour chacune des huit cuvées de l'opération Cav'âge Bugey, cent bouteilles ont été descendues en grotte pour trois ans. « Les vins ont été sélectionnées à l'aveugle, car c'est toute l'appellation que l'on veut mettre en avant, souligne Jean-Luc Guillon, président des vins du Bugey. L'objectif de notre petit vignoble de 470 ha est de gagner en notoriété, mais aussi tester l'aptitude au vieillissement de nos vins. Ils sont globalement très abordables, de 7-8 € à 20-25 €. C'est un atout pour plaire aux jeunes, mais un élevage long peut ramener de la valorisation et rassurer les restaurateurs. » Gaëtan Bouvier approuve : « c'est bien de se positionner sur un vin gourmand et accessible : certains découvrent le vin grâce au Bugey. Mais vous avez aussi de grands terroirs aptes à donner des vins évolués. » Au terme de la dégustation, le vieillissement en grotte ou en surface marquent chacun des points. Conclusion des étudiants en sommellerie : « les deux peuvent être proposés dans des accords mets-vins différents ». « Au lieu de vendre un vin, on en vend deux, renchérit Gaëtan Bouvier. Et on peut lever le menton quand on sert ces vins à table ! »
De la grotte, globalement, il ressort que l'évolution des vins est ralentie, la fraîcheur aromatique préservée et le gaz carbonique plus miscible : ce dernier point donne « des bulles plus fines pour l'effervescent, et un toucher de bouche crémeux et plus de volume pour certains vins tranquilles », pointe le MOF. L'impact de la grotte est cependant plus ou moins marqué selon le cépage et le type de vinification - il était moins flagrant sur le chardonnay que sur la roussette et l'effervescent.
Forts des enseignements de la masterclass, les vignerons du Bugey ont prévu de valoriser les cuvées "grotte" lors de divers événements. Le principal aura lieu le 19 janvier à Lyon, lors d'un dîner de gala "vins et truffes" pour 150 personnes. « On veut exister sur les tables des restaurants », reprend Jean-Luc Guillon. Pourquoi cette ambition de conquête de la part d'un petit vignoble qui, avec le gel et la grêle, a « plus de mal à produire qu'à vendre » selon son président ? « L'aire potentielle de nos AOC est immense, il y a largement la place de se développer, rétorque celui-ci. On aimerait attirer des jeunes car il y a aujourd'hui un trou dans le renouvellement des générations. Le manque de notoriété est un frein. »




