La plupart des vins rouges ne sont pas stables car plus personne ne les colle, déplore Nicolas Dutour, œnologue des laboratoires Dubernet à Narbonne. Avant, lorsqu’on utilisait majoritairement des filtres à terre, le collage était nécessaire pour pouvoir filtrer les vins. Avec le tangentiel, cette étape n’est plus obligatoire. Même si les vins sont chargés, on peut les filtrer avec, certes, un faible débit. En supprimant le collage, on se dispense d’une opération et ceux qui vendent au négoce n’ont pas à discuter avec leur client de la colle qu’ils vont utiliser. Reste que les vins ne sont pas stabilisés. » Le résultat selon Nicolas Dutour, c’est une recrudescence « inquiétante » de dépôts de matière colorante dans les bouteilles.
Karine Antigny, œnologue-conseil au laboratoire ES20 Œnologie de Béziers, observe aussi cette tendance : « Au début, on croyait que les filtres tangentiels résoudraient beaucoup de problèmes, mais ça n’est pas le cas. Désormais, on sait qu’ils ne permettent pas de s’affranchir du collage et qu’ils ne résolvent pas 100 % des problèmes microbiologiques. Ces filtres ont leurs limites. »
L’œnologue dresse ce constat après avoir vu des caves équipées en tangentiel filtrer leurs primeurs sans les avoir collés, avant de les mettre en bouteille. « Après cela, il y a eu des précipitations de matière colorante en bouteille.Sans compter que celles-ci peuvent favoriser les précipitations tartriques », rappelle-t-elle.
Matthieu Rey, œnologue au laboratoire Œnologie Gauthier à Sauveterre-de-Guyenne, en Gironde, n’est pas un fervent utilisateur du filtre tangentiel : « Je ne le conseille que lorsqu’il y a des problèmes microbiologiques dans le vin car je préfère le filtre à plaques. Le tangentiel est un outil puissant et coûteux qui sert à filtrer rapidement mais qui peut avoir un impact organoleptique. De plus, un vin stable avant filtration tangentielle peut très bien ne plus l’être après. En éliminant certains colloïdes protecteurs, la filtration tangentielle peut générer une nouvelle instabilité. » Karine Antigny observe, elle aussi, ce type d’accident. « Cela reste toutefois relativement rare », tempère-t-elle.
Pour Matthieu Rey, la stabilisation de la matière colorante des rouges ne doit pas s’obtenir par collage, mais par apport d’oxygène pendant la fermentation. « C’est essentiel pour l’établissement de combinaisons entre tanins et anthocyanes et pour fixer durablement la couleur, rappelle-t-il. La présence de matière colorante libre, et donc instable, traduit souvent une oxygénation insuffisante durant les phases fermentaires et post-fermentaires. » La science œnologique enseigne en effet que les anthocyanes se lient aux tanins par l’intermédiaire de l’éthanal, composé issu de l’oxydation de l’éthanol, formant ainsi des composants stables.
Concrètement, l’œnologue préconise la micro-oxygénation sur moûts et sur vins jusqu’au décuvage « et avec parcimonie, après la malo, durant l’élevage. Toujours dans le but de stabiliser la couleur, je conseille aussi parfois l’ajout de tanins ».
Pour Matthieu Rey, « le collage permet surtout de travailler l’équilibre en bouche et d’éliminer des tanins trop verts ou astringents. En l’absence de défauts organoleptiques, je n’en vois pas l’utilité, sauf pour les vins issus de thermovinification dans lesquels il y a souvent un excès d’anthocyanes par rapport aux tanins, et donc une proportion élevée de matière colorante libre susceptible de précipiter ».
En vue de s’assurer de la stabilité de la matière colorante, l’œnologue réalise des tests au froid, en plaçant ses échantillons pendant cinq jours à — 4 °C. « Si aucun dépôt n’apparaît, inutile de coller. » Dans le cas contraire, il préconise surtout les protéines végétales – pois, patatine ou chitine-glucane – en fonction des besoins. « Je fais mes propres formulations pour travailler plus précisément », explique-t-il.
Pour les marchés ne tolérant pas le moindre dépôt de matière colorante, Matthieu Rey recommande l’usage de bentonite entre 5 et 10 g/hl : « Ce n’est pas une pratique courante, mais on fait précipiter une partie de la matièrecolorante sans altérer la structure du vin. »
Autre phénomène plus surprenant observé par plusieurs œnologues et pour le moment inexpliqué. « On constate de plus en plus de vins atypiques qui, malgré un collage et une filtration tangentielle, continuent à colmater lors de la filtration finale avant la mise en bouteille, indique Karine Antigny. On ne sait pas vraiment pourquoi, mais on pense que cela peut être dû au réchauffement climatique. » De quoi assurer l’avenir du collage et de la filtration des vins rouges.
Yannick Cadot, chef de produit filtration chez Bucher Vaslin explique « Je suis surpris que l’on puisse penser que la filtration tangentielle dispense de coller les vins. En aucun cas, elle ne remplace le collage. Nous proposons d’ailleurs d’équiper nos filtres de pompes doseuses afin de coller les vins en ligne, une option qui intéresse les caves coopératives et les négoces. Les vins, non collés, mal préparés, génèrent des colmatages qui ralentissent le débit de filtration, ce qui engendre des surcoûts en énergie, en main-d’œuvre et en produits de nettoyage. Et après filtration, on se retrouve avec une instabilité de la matière colorante. »


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