En Occitanie, on a plus vite fait de compter les années sans dérogations que les années avec », résume Catherine Richer, déléguée territoriale INAO. Rien qu’en 2025 et en Occitanie, le dispositif a été déployé quatre fois.
De quoi parle-t-on ? D’un arrêté daté du 4 août 2017 qui stipule que « en cas de phénomène climatique défavorable ayant entraîné des pertes de récolte significative, le préfet peut prendre un arrêté pour ouvrir l’achat de raisins ou de moût par des récoltants, même sans statut de négociant », résume Catherine Richer. Rebaptisée « négoce climatique » par quelques vignerons, l’opération est très encadrée : l’achat ne doit pas dépasser 80% de la production moyenne de vin de l’entreprise sur les cinq dernières campagnes. Et le texte exclut les cas de pertes liées à un incendie ou au mildiou.
« En général c’est circonscrit à quelques communes », détaille la responsable. Un dispositif similaire peut aussi être mis en place dans le cadre plus rare d’une « catastrophe naturelle », à l’échelle cette fois d’un département, comme l’Aude en 2025, par exemple.
« Mais à chaque fois, ça raconte la même chose, soupire Jean-Marie Fabre : que l’année avec aléas est devenue la norme. C’est le signe d’un changement de paradigme. » Le président des vignerons indépendants a eu lui-même recours au dispositif – un comble-, pour pallier les pertes dues à la sécheresse. « Il faut bien comprendre que cette histoire d’aléas, c’est entre 15 et 25% de pertes tous les ans, explique le vigneron de Fitou. Mais cette moyenne ne dit pas la réalité. Dans les faits, la même année, certains ont 0 perte, et les voisins 100%. En 2023, j’ai perdu 35% de ma production, et en 2025, c’est 60%. Donc dans quelques semaines, je n’aurai plus de vin à vendre, donc plus de trésorerie pour payer mes charges. Et quand j’aurai de nouveau du vin à vendre, mes clients seront-ils toujours là ?»
Une charge en plus
A court terme et sur le papier, la solution « achat de raisin » permet de compenser au moins en partie les pertes, et d’assurer la continuité de ses volumes de production. « Ça a été mis en place après les chocs grêle de 2014 et 2016. La filière a réalisé que le changement climatique, ce n’était plus de la prospective, qu’il était déjà là, et qu’il fallait organiser les choses. » Avec ce dispositif est ainsi née tout une ingénierie de « cellules de crise » mobilisant les services de l’Etat (DDTM, DGCCRF), l’INAO et les acteurs de terrain, « pour pouvoir répondre rapidement aux besoins ».
Le dispositif fonctionne, donc. Mais ne résout rien. « C’est utile, et même nécessaire. Mais ça reste une charge en plus », explique Jean-Marie Fabre, qui ne compense pas complètement les récoltes perdues, surtout si l’exercice se répète.
Autre point négatif : « Ce n’est pas simple d’acheter de la vendange un peu à la dernière minute. Il faut la trésorerie, les contacts », note Catherine Richer. Et ensuite, il faut assumer… « Moi, je l’ai fait en 2024 et je ne regrette pas, explique une vigneronne du Sud-Ouest. Mais je ne le referai pas. C’est plus difficile de vendre ces vins-là. Ils ne sont pas moins bons, mais ils sont différents. Les clients ne viennent pas chez moi pour boire ce genre de vin. » Interrogé, un caviste parisien a toutefois haussé les épaules : « Tant que c’est bon et que le prix est adapté, je ne vois pas le problème. »
C’est donc dans les vignobles que ça se joue. Et finalement, observe Catherine Richer, « quand il y a un aléa, la demande pour déclencher le dispositif est très pressante. Mais quand on fait le bilan, on se rend compte qu’il n’a pas été aussi utilisé que prévu. » Et d’autant moins s’il y a des stocks à vendre d’abord.
De mesure exceptionnelle à stratégie de long terme
Mais ce qui était conçu comme exceptionnel s’inscrit peu à peu dans le paysage. Dans plusieurs territoires, des « places de marché » de raisin plus ou moins informelles sont mises en place. Et de mesure exceptionnelle à stratégie de long terme, il n’y a parfois qu’un pas, que de plus en plus d’entreprises franchissent, selon les observations de Catherine Richer et Jean-Marie Fabre. Il est difficile pour l’instant de chiffrer le phénomène. Mais toutes les personnes interrogées l’ont observé : « Certains prennent goût au négoce », glisse un vigneron du Beaujolais.
Le tout alimente les débats : s’agit-il d’une stratégie d’adaptation, voire de survie, ou d’une concurrence déloyale pour les vignerons ? « Nous, on a débattu longtemps pour savoir si on autorisait ces cuvées dans notre salon », explique Muriel Zoldan (domaine Antocyâme), co-organisatrice du salon Contrastes, à Toulouse. « On a créé ce salon pour défendre des vignerons, pas des négociants. Mais finalement, on s’est dit que priver de salon celui qui a déjà tout perdu, c’était un peu la double peine. » Les organisateurs ont donc coupé la poire en deux : les cuvées de négoce « officiel », c’est non. Mais les cuvées de négoce climatique sont tolérées.
Pour Jean-Marie Fabre, les solutions a posteriori, telles que ce dispositif de « négoce climatique », ou des aides financières après des pertes, ne sont plus adaptées. « Il faut qu’on nous aide pour développer les systèmes de protection : filets anti-grêle, protection antigel, irrigation », énumère-t-il. « Même si on ne peut pas tout protéger, perdre 10 ou 40 %, ce n’est pas la même chose », insiste-t-il.




