’étude PestiRiv ? Plus de peur que de mal. À Pessac-Léognan, Jean-Christophe Mau, gérant du Château Brown, un domaine périurbain comme on les appelle, n’a eu aucun retour de ses voisins depuis le 15 septembre, jour de la parution de cette étude très largement relayée par tous les médias. Il faut dire qu’il a pris le problème à bras-le-corps depuis longtemps.
Dans sa commune, vignerons et riverains cohabitent depuis des décennies. Jardins et vignes s’entremêlent un peu plus chaque année, les habitations grignotant du terrain sur les terres agricoles. Une cinquantaine de riverains bordent les 35 ha du château Brown.
« J’habite moi-même en plein cœur du vignoble, je suis le premier préoccupé par l’exposition aux produits phytos, pose Jean-Christophe Mau. PestiRiv n’est pas un sujet avec nos riverains. La publication des résultats n’a entraîné aucune réaction. Nos voisins sont davantage préoccupés par les feuilles d’arbres qui tombent dans leur piscine ou la branche de chêne qui leur fait de l’ombre. » Le vigneron assure ne plus utiliser de produits CMR depuis vingt ans, ne jamais traiter les week-ends et s’astreindre à passer entre 8 h 00 et 18 h 00 d’avril à juillet, même si ce n’est pas toujours évident.
Face à la demande croissante de ses voisins d’être prévenus de ses traitements, dès 2012 il collecte leurs adresses e-mail. Depuis, il les informe de tous ses passages 24 heures à l’avance. Il a également planté des haies pour séparer les jardins des premiers rangs de vigne et pour protéger un parc municipal. « Et il y a cinq ans, j’ai même arraché 30ares de vignes sur une parcelle d’un hectare pour reculer par rapport aux habitations », ajoute-t-il.
Même son de cloche chez Mathieu Plou, propriétaire d’un domaine de 100hectares à Chargé, en Indre-et-Loire. L’étude PestiRiv n’a eu aucun écho sur le terrain. Personne n’est venu le voir pour en discuter. Et pour cause : cela fait des années qu’il communique sur le sujet pour éviter tout conflit avec ses voisins. « Je suis le seul vigneron du village donc forcément, quand il y a un tracteur qui tourne, il est à moi. Il y a quatre ans, lorsqu’une voiture s’est mise en travers du chemin d’un de mes tractoristes alors qu’il finissait de traiter, je me suis dit qu’il fallait communiquer. »
En concertation avec le maire du village, Mathieu Plou songe d’abord à organiser une réunion d’information, puis opte pour une initiative plus ludique et conviviale : une journée de vendange. « Sur les 1 200habitants de Chargé, une quarantaine a répondu à l’appel, se souvient-il. Leur inquiétude numéro 1 portait sur le glyphosate. Ils ont été rassurés : je n’en utilise plus. Ensuite viennent les autres produits phytos. On a parlé de dose, de fréquence de traitement et surtout de la nécessité de traiter pour sauver la récolte. Depuis une relation de confiance s’est établie. Les riverains le savent : à la moindre inquiétude, ils peuvent sonner à ma porte. »
À Wangen, dans le Bas-Rhin, Christian Kohser raille l’étude PestiRiv. « Apprendre que l’exposition aux pesticides est plus importante lorsqu’on est proche d’une vigne, c’est comme affirmer qu’il y a plus de bruit près d’une autoroute. On s’en doute », s’insurge-t-il. Sur les 20hectares qu’il exploite en HVE, ce vigneron possède une parcelle de 20ares à proximité de riverains. Alors pour éviter toute polémique, depuis 2020, il la traite en bio, « uniquement au cuivre et au soufre et j’envoie toujours un SMS la veille d’un traitement ». D’après Christian Kohser, le problème se pose surtout les années pluvieuses. « Les voisins profitent de leur jardin dès qu’il y a un rayon de soleil alors que nous devons absolument traiter entre deux pluies. »
En Bourgogne non plus, le battage médiatique autour des résultats de l’étude PestiRiv n’a pas eu répercussion. « Cette étude a démontré que les riverains habitants proches des vignes étaient plus exposés aux produits phyto que les autres, affirme Thiébault Huber, propriétaire du domaine Huber-Verdereau, à Meursault, et président de la confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne. La meilleure des protections reste donc la non-exposition. À partir du moment où les riverains sont prévenus, la cohabitation se passe très bien. »
Thiébault Huber doit cohabiter avec un hôtel établi en plein cœur du Clos du Colombier qu’il exploite. Alors forcément cela implique des compromis. « Même si cela ne m’arrange pas, je traite toujours après 10 h 00 afin de préserver les clients et le personnel de l’hôtel. » Sur ses dix hectares certifiés bio, quatre parcelles se situent à proximité d’habitations. Alors dès 2018, il a créé un groupe WhatsApp avec les six familles concernées, de façon à les prévenir systématiquement la veille d’un traitement.
Pour sa part, Mathieu Plou a prévu d’organiser à nouveau une journée de vendange l’an prochain pour ses voisins, au cas où PestiRiv aurait ravivé quelques tensions sans qu’il l’ait perçu. Afin de promouvoir la convivialité plutôt que le conflit. Et parce que prudence est mère de sûreté.
Publiée le 15 septembre, l’étude PestiRiv a montré que les riverains de vignes sont plus contaminés par les pesticides que ceux qui habitent loin des vignes, et que leur contamination reste inférieure aux seuils admis. Beaucoup de bruit pour rien, selon les responsables de la filière. « C’est une étude d’exposition, rappelle Bernard Farges, président du CNIV. Si elle avait montré que les riverains vivant près des vignes étaient moins exposés aux produits phyto que les autres, cela aurait été une aberration. PestiRiv, c’est 11 millions d’euros pour enfoncer une porte ouverte. » Selon Thiébault Huber, vigneron et président de la CAVB, le problème de demain ne sera plus les pesticides mais les nuisances sonores. « Entre la directive “abeilles” et le réchauffement climatique, nous sommes de plus en plus obligés de traiter de nuit, prévient-il. Ça va devenir un sujet. »


Retrouvez tous les articles de La Vigne


