e terroir de l’appellation Côtes-du-Rhône, ses côteaux ensoleillés propice au grenache, au cinsault, au carignan… Et aux panneaux photovoltaïques ? Très peu pour son Organisme de Défense et de Gestion (ODG), qui a vu affluer les projets d’énergéticiens souhaitant développer des projets d’agrivoltaïsme : des panneaux photovoltaïques surplombant des parcelles de vignes, avec la promesse d’ombrières préservant les ceps des aléas climatiques (gel, coups de chaud…). « On a reçu jusqu’à une dizaine de projets par semaine, ce qui nous a rendu inquiet par la tournure que ça pouvait prendre, alors qu’il y avait des programmes d’une dimension exceptionnelle, vraiment trop énorme » rapporte Damien Gilles, le président du syndicat des vignerons des Côtes-du-Rhône.
Passé la surprise initiale, le viticulteur de Pont-Saint-Esprit (Gard) note qu’« après un tour d’horizon de plusieurs porteurs de projet, on s’est aperçu que les vertus n’étaient pas tout le temps au rendez-vous. Finalement, l’argument de l’agrivoltaïsme face au réchauffement climatique ressemble à un alibi, qu’il y a des pertes de rendements à long terme. Ce serait envoyer des viticulteurs dans le mur. Agronomiquement, on n’a jamais rien vu pousser à l’ombre… »
Souhaitant tester l’agrivoltaïsme à une petite échelle, l’ODG a d’abord voulu mettre en place un Dispositif d’Évaluation des Innovations (DEI) au sein des AOC Côtes-du-Rhône et Côtes-du-Rhône Villages : « nous voulions des démonstrateurs sur un total de 10 à 20 hectares max pour récolter des données techniques » explique Damien Gilles, mais les demandes ne pouvant être plafonnées sur une surface garantissant une échelle expérimentale, le conseil d’administration du syndicat des vignerons des Côtes-du-Rhône a acté le principe d’interdire purement et simplement les panneaux solaires sur ses parcelles. « On se retrouve dans la situation où l’on n’a pas d’autre choix que de l’interdire pour éviter de voir des centaines d’hectares couverts en une année » indique le président rhodanien.
Estimant qu’il y a un risque de no man’s land réglementaire dans les principes des AOC, l’ODG a voté à la quasi-unanimité (une voix contre) l’interdiction claire de l’agrivoltaïsme à ses ressortissants : « dans la situation économique actuelle, si nous n’arrivons pas l’encadrer, nous allons perdre pied et voir fleurir des projets sans certitudes sur les effets viticoles, mais avec un impact paysager avéré : une défiguration totale de notre paysage. » Transmise à l'Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), cette proposition inédite est désormais dans les tuyaux administratifs.
Procédure INAO
« L’ODG a déposé une demande d’interdiction dont le comité national des vins AOP de septembre a pris connaissance et qu’il a voté à la quasi-unanimité (36 pour et 3 abstentions). Une position de prudence et d’attente » rapporte Jacques Gautier, inspecteur national de l’INAO, qui indique qu’une commission d’enquête va aller sur le terrain en décembre pour avancer sur les modifications du cahier des charges qui pourraient passer en comité national (dès février ou en juin) avant d’être soumises à une Procédure Nationale d’Opposition (PNO) avec l’ensemble des demandes de modifications du cahier des charges (règles d’encépagement et d’assemblage, ainsi que création d’un claret).
Au sein de la commission environnement de l’INAO, Jacques Gautier rapporte que les experts manquent d’études indépendantes : « les énergéticiens avancent des secrets industriels » indique-t-il. Confirmant qu’à l’incertitude viticole répond l’assurance d’un changement paysager : « ce n’est pas le même œnotourisme quand on dit aux consommateurs "venez voir nos beaux vignobles aux installations photovoltaïques » grince l’expert, notant que l’IGP du Var a également pris une décision interne pour s’interdire les panneaux agrivoltaïques (sans formalisation à date). Jacques Gautier estime pour sa part que le vitivoltaïsme est de fait interdit dans le vignoble AOC depuis 2003, et la décision du comité national des vins d’appellation de l’INAO d’interdire toute installation permanente au-dessus des vignes (même si l’agrivoltaïsme se dit réversible). Mais le syndicat des vignerons des Côtes-du-Rhône veut éviter toute ambigüité réglementaire.
« Nous voulons que l’interdiction devienne un écueil juridique » résume Damien Gilles, esquissant que « si la commission d’enquête la valide et qu’il n’y a pas d’opposition en PNO, cette position pourra devenir une mesure d’application directe dont chaque AOC de France pourra se saisir pour la faire sienne » dans son cahier des charges. Premières appellations à lancer une telle démarche d’interdiction de l’agrivoltaïsme, Côtes-du-Rhône et Côtes-du-Rhône Villages sont confrontées à ce sujet à cause de la précarité des revenus de leurs producteurs.
Tension économique
« Nous sommes dans un bouleversement économique. Toute amélioration du chiffre d’affaires est bonne à prendre, je ne dis pas certaines ne devraient pas être saisies, mais là [avec l’agrivoltaïsme] c’est d’utilité publique de prendre une telle décision pour notre patrimoine » tranche Damien Gilles. Qui fait état d’« un phénomène inconnu qui se trouve alimenté par la tension de notre économie. Ce n’est pas un sujet en Bourgogne et en Champagne qui s’en sortent bien. Certains vignerons m’en voudront, mais il s’agit avant tout de protéger les viticulteurs et l’AOP d’eux même. »
Quitte à ce que des études démontrent dans le futur l’intérêt agronomique des installations photovoltaïques pour que l’AOC change de fusil d’épaule. Mais sans avoir couru le risque de bétonner, d’implanter des structures métalliques et de perdre de l’emprise au sol avant de savoir de quoi il retournait. Une approche partagée par les crus rhodaniens du Nord et du Sud précise Damien Gilles, soulignant « une volonté commune sur le sujet » avec l’application du principe de précaution pour préserver les paysages rhodaniens, au centre de la stratégie de développement œnotouristique de la filière. « Est-ce que l’on a réellement envie de voir nos appellation et paysages défigurés d’installations hors norme ? Ce n’est pas parce que notre région est perturbée économiquement que l’on ne doit pas prendre nos responsabilités » conclut Damien Gilles.




