rop déçu, Emmanuel Grand n’a pas calculé son rendement final. « Tout le monde espérait mieux, finalement c’est une récolte moyenne en volume pour le Jura, partage ce vigneron installé avec son épouse Nathalie sur 10 ha à Passenans (Jura). C’est toujours mieux que 2024, mais on ne peut pas se contenter d’alterner une année blanche et une année moyenne… Heureusement, la qualité est là ! » Une année de plus, il faudra restreindre certains clients, et peut-être pas élever certains blancs aussi longtemps qu’il le souhaiterait. Toutefois ce Jurassien, qui travaille avec une poignée d’agents en France et exporte vers une vingtaine de pays, ne lève pas le pied sur les salons. « Il faut continuer à montrer qu’on existe et promouvoir nos vins car le jour où on retrouvera des volumes, on voudra vendre, prévoit-il. Les ventes de vin du Jura sont stables car nous avons de petites récoltes, mais le contexte morose pèse aussi sur nous. »
Avec les treize autres membres du club Juracines, il était donc présent le lundi 13 octobre à Lyon pour une dégustation professionnelle. Depuis 2022, ce club réunit quatorze vignerons bio amoureux de leur métier et de leur terroir, voulant défendre ensemble les AOC jurassiennes. Pour la première fois à Lyon, l’association est sortie de son fief. « L’idée serait d’en faire un rendez-vous annuel à l’automne, en tournant dans différentes villes, reprend Emmanuel Grand. Nous avons débuté par Lyon, si proche et où nos vins sont si peu présents ! »
Un rendez-vous annuel réunit déjà 150 à 200 professionnels chaque printemps au château d’Arlay. Le vigneron propriétaire de ce domaine jurassien de 15 ha, Pierre-Armand de Laguiche, a aussi enregistré « une récolte 2025 normale qui ne compense pas les années traumatisantes. En 2021, j’ai gelé à 80 % et le mildiou a fait le reste : je n’ai pas fait de vin, se souvient-il. En 2024, j’ai ramassé 6 à 10 hl/ha. Cette année, j’ai récolté 30 hl/ha quand la moyenne du Jura est à 38-40 hl/ha : c’est normal vu l’âge de mes vignes très jeunes ou très vieilles. Mais il faudrait que les dix prochaines soient pareilles ! » Pas question de réduire ses durées d’élevage, car il aime ses vins patinés. Par contre, il faudra limiter certains clients. « On commence à entendre parler d’allocations dans le Jura, surtout pour les vins blancs, jaunes et macvin, constate-t-il. L’idée n’est pas de contrôler le marché ; mais de garder des prix abordables et servir tout le monde. C’est nouveau pour nous et nos voisins bourguignons nous ont mis en garde : un marché qui monte, ça se gère ! »
Au domaine Philippe Bulabois, 9 ha à Arbois, « on est en rupture sur certains Ssavagnin et ça devient aussi tendu sur les rouges, témoigne David Goulut, employé à la vigne et à la cave. En 2024, on n’a pas récolté de poulsard et on a dû vinifier ensemble le pinot et le trousseau car les volumes étaient trop faibles ! » Sur leurs 25 ha, Damien et Anne-Laure Petit, du domaine Désiré Petit à Pupillin, ont récolté un peu plus de 40 hl/ha, soit plus du double de l’an passé. « Il va nous manquer un peu de rouge, comme tout le monde, confie Damien. J’adore le poulsard mais il est sensible à tout : quelqu’un qui ne réfléchirait qu’en terme de rentabilité l’abandonnerait. » Possible aussi que celui-là abandonnerait la bio… Mais hors de question pour Damien et les autres membres de Juracines, qui ont les convictions chevillées au corps. « Je ne critique pas le conventionnel, je l’ai été avant et chacun fait de son mieux à son rythme, mais je ne reviendrais pas en arrière », assure-t-il.


Dans le Jura où un tiers des surfaces est certifié AB, le club Juracines se démarque de l’association historique de producteurs bio "Le Nez dans le Vert" par sa volonté de défendre les appellations, désertées par certains vignerons. « Les anciens se sont battus pour les mettre en place et quand les gens viennent dans le Jura, ils passent à Arbois et veulent acheter de l’Arbois », pointe Damien Petit. Pierre-Armand de Laguiche abonde : « Une appellation reste un outil important pour faire parler de soi, et c’est un magnifique système de protection : derrière le terroir, l’AOC protège un modèle social. » Ce qui n’empêche pas les deux vignerons de vouloir faire bouger les lignes pour s’adapter au climat, notamment en autorisant des cépages hybrides. Avec l’espoir d’arrêter enfin de gérer la pénurie.