u premier regard, rien ne permet de deviner que les trois cuviers du Château Léoville Poyferré, un cru classé du Médoc situé à Saint-Julien-Beychevelle, sont équipés d’une installation de captage à la source du CO2. Mais Frédéric Garbay, adjoint technique du maître de chai, nous fait remarquer le long tuyau en inox de 100 mm de diamètre qui passe au-dessus de toutes les cuves, un tuyau fixé juste sous la grosse canalisation dans laquelle la vendange passe. C’est par là que le CO2 s’échappe vers l’extérieur sans se diffuser dans les chais.
En haut de chaque cuve, un tuyau en plastique alimentaire souple est branché sur la sortie femelle prévue pour recevoir les bondes aseptiques Bellot une fois les fermentations terminées. Ce tuyau achemine le CO2 vers celui en inox, lequel court jusqu’à une grande ouverture qui a été pratiquée dans un mur pour disperser le CO2 au-dehors. Vu du sol, le tout est harmonieux, avec des lignes pures.
« C’est un choix esthétique, mais pas seulement, explique Frédéric Garbay qui a réalisé lui-même cette installation, opérationnelle depuis le début des vendanges 2025. Plutôt que le PVC, nous avons préféré l’inox pour collecter le CO2 car, avec ce matériau, on peut créer un circuit assemblé par raccords boule, ce qui permet de le démonter morceau par morceau pour nettoyer les sections et évacuer la condensation, s’il y en a. Avec le PVC, tout est collé. Impossible de démonter un circuit après l’avoir posé. Cela nécessite de placer des vannes dans les points bas pour purger l’eau de condensation. »
Ce 23 septembre, les six salariés, les deux apprentis et le maître de chai s’affairent aux remontages. L’ambiance est très calme. Enzo, étudiant en alternance à Bordeaux Sciences Agro, au château depuis novembre 2024, apprécie. « Le confort de travail est indéniable, observe-t-il. On ne perçoit aucune odeur et on se sent en sécurité. Précédemment, j’ai travaillé dans une propriété qui n’était pas équipée de captage du CO2 à la source. Il fallait faire des pauses pendant qu’on aérait le chai. Les conditions de travail étaient moins agréables. »
L’installation de captage ne complique nullement le travail des salariés. « Les tuyaux ne sont pas gênants, ni pour le levurage, ni pour les remontages », souligne Enzo. Il faut dire que Frédéric Garbay est aussi administrateur à la MSA. Très impliqué dans la prévention et très au fait du travail durant les vinifications, il a pris soin de bâtir un système ergonomique. « J’ai été embauché au château en mai 1994 comme ouvrier de chai. Puis j’ai évolué », explique-t-il.
Non seulement l’installation évacue le CO2, mais elle permet aussi d’inerter les cuves avec le CO2 produit lors des fermentations. Pour cela, Stéphane Garbay a installé une vanne quart de tour à l’arrivée des tuyaux souples sur le collecteur en inox. Une par cuve, donc. En début de vendange, quand les cuves sont vides, toutes ces vannes sont fermées. Lorsque les cuves entrent en fermentation, il faut les ouvrir pour que le CO2 s’évacue. En cas d’oubli, une soupape de sécurité fixée sur chaque cuve permet d’éviter toute surpression. Pour inerter une cuve vide, il suffit d’ouvrir la vanne qui la raccorde au circuit. Une partie du CO2 s’y écoule alors naturellement quand le reste continue son cheminement vers la sortie du chai.
Il est 16 heures, Frédéric Garbay s’éclipse. Des représentants de Château La Lagune, 3e grand cru classé du Médoc, l’attendent pour écouter ses explications, très intéressés par cette installation, la première fabriquée en interne en Gironde et à utiliser des tuyaux en inox pour le captage du CO2 à la source.
Car Frédéric Garbay ne cesse d’accueillir des professionnels attirés par son montage. Le 29 septembre, il a reçu la MSA qui est venue tourner une vidéo de son installation pour la diffuser sur son site. Un peu plus tôt, ce fut le tour de la FDSEA de Gironde de venir. « Beaucoup de gens imaginent qu’il faut une installation énorme pour capter le CO2 à la source, mais pas du tout. C’est simple à faire et ça ne coûte pas une fortune – il m’a fallu une centaine d’heures de travail et 15 000 € de fournitures pour équiper nos 47 cuves d’une capacité totale de 6 865 hl – et ça rend le travail au chai bien plus agréable », soutient-il, désireux de voir le captage à la source se généraliser pour la sécurité de tous.
Dans chaque cuvier, un capteur mural mesure et indique le taux de CO2 dans l’air. Si le seuil de 0,5 % est atteint, trois extracteurs se déclenchent pour l’évacuer. Lors des décuvages, les mesures de sécurité sont simples. « La veille, on écoule la cuve. On la ventile toute la nuit à l’aide d’un ventilateur. Le lendemain, on pratique un trou dans le marc par la porte du bas tout en continuant de ventiler. Si on ne détecte plus de CO2, l’ouvrier peut entrer dans la cuve pour la vider », indique Frédéric Garbay.