ace au marasme commercial, les négociants bordelais lâchent les petites propriétés viticoles. Pas de panique pour Didier Pineau, 67 ans, qui a racheté en juin 2022 le château Bellegrave du Poujeau (4 hectares en AOC Médoc) avec son épouse Claire-Marie, et un autre couple, Christine et Jean-Philippe Paré. Ils se souviennent de leurs cours de management et estiment que « celui qui vous sauve quand vous êtes dans la difficulté, ce n’est pas le banquier, mais ce sont les clients que vous allez chercher ». Ce qu’ils vont faire. Ils organisent deux fois par an (avant noël et en mai) des portes ouvertes à la propriété. A vélo, ils ratissent les alentours et distribuent 3 000 tracts dans les boîtes aux lettres, annonçant ces portes ouvertes. A Toulouse et au Pays basque, au printemps, chez des copains, ils font déguster leurs vins, genre réunion Tupperware. Et ça marche. 30 % du chiffre d’affaires aujourd’hui se fait avec les portes ouvertes. Les particuliers constituent le gros noyau des ventes. Le réseau Café Hôtel Restaurant (CHR) démarre. L’export représente 15 % du chiffre d’affaires. Les deux compères savent utiliser leur carnet d’adresses professionnelles, bien rempli.
De cette expérience, Didier Pineau estime que « Bordeaux ne s’en sortira que si une solidarité s’instaure au plan local. Je pense par exemple que les crus classés devraient avoir une attitude bienveillante pour les petits. Qu’ils arrêtent de faire des seconds, des troisièmes vins dont les prix laminent le marché et qui ne correspondent qu’à une approche de rentabilité financière. De même pourquoi certains grands châteaux ne partagent-ils pas du matériel, qui souvent dort dans les hangars, avec ceux qui sont à la peine. » Le néo-vigneron n’est pas plus tendre avec les metteurs en marché : « quant aux négociants, ce sont des acheteurs qui sont devenus de piètres vendeurs et qui ne mettent pas en avant des vins peu connus. Je crois aussi que Bordeaux devrait davantage coller aux attentes des consommateurs. Pourquoi ne pas intégrer un panel de prescripteurs, de représentants de la grande distribution, des consommateurs dans les instances de la filière bordelaise ? »
N'étant pas issu du sérail, Didier Pineau est un ingénieur en mécanique qui a développé au sein d’Aerospatiale Aquitaine, puis d’Europlasma, la technologie de la torche à plasma et ses applications industrielles. Pour son investissement viticole, il s’est associé avec Jean-Philippe Paré, ex-patron de la R&D de Danone, qu’il connait depuis le CM2. Tous deux ont écumé les propriétés à vendre et ont racheté le château Bellegrave du Poujeau, un cru bourgeois, qui écoule alors sa production à 65 % au négoce, le reste au CHR et aux particuliers. Ils créent une société dans laquelle chacun détient 25 %. Très vite, avec le millésime 2022, la propriété sort de l’Alliance des Crus Bourgeois, qui pour Didier Pineau « n’est pas une réponse à la crise » et se tourne vers les Vignerons Indépendants.
Dans l’Hexagone, les néo-vignerons tablent sur les salons qu’ils initient eux-mêmes. Les 25 et 26 octobre prochain, à Sarrebourg, en partenariat avec un viticulteur de Moselle qui amène cinq vignerons, ils vont lancer "Vineo Sarre" qui se tiendra dans la salle des fêtes de la commune. Didier Pineau a convaincu une dizaine de viticulteurs dont 8 bordelais d’y participer. Et a réussi à mutualiser tous les frais (gîte, billets d’avion). On n’est jamais si bien servi que par soi-même.




