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"Ça nous touche psychologiquement, on est en alerte tout le temps" Les vignerons administrés jusqu’à l’épuisement
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Alerte en Bourgogne
"Ça nous touche psychologiquement, on est en alerte tout le temps" Les vignerons administrés jusqu’à l’épuisement

Loin de s’alléger, la masse de formalités imposées aux vignerons ne cesse de grossir. Reportage en Bourgogne où les viticulteurs comme leurs représentants dénoncent une situation hors de contrôle.
Par Clément L’Hôte Le 10 octobre 2025
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Jean-Michel Chartron à la tête du domaine Jean Chartron, une propriété de 14,5 ha basée à Puligny-Montrachet en Côte d’Or dans son bureau. Le vigneron estime que les tâches administratives lui prennent un tiers voire la moitié de son temps - crédit photo : DR
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e n’est plus un secret, le moral des vignerons est en berne. Si les rendements aléatoires, la mévente ou les difficultés de recrutement sont des causes bien identifiées, un autre facteur est de plus en plus pointé du doigt : la surcharge administrative. En Bourgogne, la CAVB (confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne) s’intéresse au sujet depuis 15 ans. Aujourd’hui, elle tire la sonnette d’alarme. En cause : « La vague de dématérialisation, dont la conséquence a été de simplifier la tâche à l’administration tout en la complexifiant pour les vignerons », résume Marion Saüquere, directrice de la CAVB.

Le même scénario se répète

« Que ce soient les douanes, les fraudes ou la MSA, le même scénario se répète avec toutes les administrations : elles créent des plateformes sur internet, puis c’est à nous d’entrer toutes les données à leur place », abonde Jean-Michel Chartron, à la tête du domaine Jean Chartron, une propriété de 14,5 ha basée à Puligny-Montrachet en Côte d’Or. « L'exemple de la DRM est parlant, se désole-t-il, amer. Avant, on envoyait des papiers et les agents renseignaient ça dans leur système. Désormais, nous faisons ce travail. La simplification existe bel et bien, mais pour eux. En plus, les administrations ne communiquent pas entre elles. Chaque millésime, on doit indiquer les mêmes informations concernant nos appellations et nos volumes aux douanes, puis à l’Inao etc. »

Sans compter l’apparition régulière de nouvelles plateformes. « La plateforme des douanes GAMMA2 est sortie en plein mois de juillet, à deux mois des vendanges ! Les fonctionnaires des douanes locaux n’étaient même pas au courant. Il y a une déconnexion totale avec le terrain », se désole Jean-Michel Chartron. Et Marion Saüquere de compléter la liste. « La facturation électronique, le changement d’interface des douanes pour saisir les déclarations de récolte 2025, la dématérialisation de la tenue des registres phytosanitaires… Tout cela est encore à venir. On ne sait même plus comment l’annoncer à nos adhérents. »

9 h par semaine en moyenne pour faire de l'administratif

Toutes ces formalités prennent de plus en plus de place dans le quotidien de ces producteurs. « En moyenne, un vigneron passe 9 h par semaine sur l’administratif », indique Marion Saüquere. Ce que confirme Frédéric*, producteur d’appellations villages et régionales en Côte de Nuits sur une vingtaine d'hectares. « Chaque soir c’est pareil : nos salariés rentrent chez eux, et avec ma femme nous commençons l’administratif. Elle passe à peu près un tiers de ses journées sur les formalités. Moi, environ un quart », calcule-t-il, la détresse palpable dans sa voix. Quant à Jean-Michel Chartron, il estime que le bureau lui prend « un tiers de [son] temps, si ce n’est la moitié »

L’un comme l’autre n’ont pas la capacité financière de déléguer ces tâches autant qu’ils voudraient. « On en délègue un bout à une salariée, indique Jean-Michel Chartron. Mais embaucher une personne à temps plein pour ces tâches administratives, c’est hors de question à l’échelle d’un domaine familial comme le nôtre. Notre secteur se porte bien certes, mais nos rentabilités ne sont pas celles que l’on croit. »

"Quand on veut contacter la MSA, on se heurte à un mur"

Idem pour son confrère Frédéric, qui va quand même devoir se résoudre à déléguer l’établissement de ses bulletins de paie à un cabinet comptable. « C’est le pire de tout, on en peut plus. Ça nous coûtera 30 € par fiche, tant pis. Parce que jusqu'ici, c’est deux jours de boulot par mois pour établir les bulletins de paie de nos 7 salariés. Une fois sur deux les DSN [déclaration sociale nominative] sont inexactes car un taux a changé de 0,1%, sans qu’on nous prévienne… Alors il faut régulariser. Et si on veut contacter la MSA, on se heurte à un mur. Ma femme, qui gérait ça, est à bout. »

Durcissement des contrôles

Cette inflation paperassière est d'autant moins acceptable pour ces producteurs qu’ils ont le sentiment qu’elle se double d’un durcissement des contrôles. « En informatisant, l’Etat a pu se recentrer sur cette mission », constate Marion Saüquere. Frédéric est encore plus direct. « Les jeunes contrôleurs sont plus pointilleux que leurs aînés. On voit qu’on leur demande du chiffre. Qu’on est passé d’une présomption d’innocence à une présomption de culpabilité. L’objectif n’est plus d’accompagner le vigneron, mais de le coincer. Je n’oublierai jamais ce contrôle phyto DDT aléatoire que j’ai eu un jour. A la fin, tout était nickel. Et le contrôleur m’a dit  « vous avez de la chance. » »

Ces tâches assommantes pèsent sur le temps et les finances des vignerons. Mais pas que. Leur sérénité et leur bien être en souffrent également. « Dans notre baromètre e-santé 2024, un tiers des vignerons sondés indiquent que la relation avec l’administration est un facteur majeur de stress », dévoile Marion Saüquere. Il faut dire que le modèle bourguignon est en première ligne. « Je vinifie 24 ou 25 appellations différentes et je vends 70 % à l’export. Imaginez le nombre de déclarations que cela suppose, illustre Jean-Michel Chartron. Ça nous touche psychologiquement, on est en alerte tout le temps. J’ai des collègues qui commencent à regretter d’avoir proposé à leurs enfants de leur succéder. C’est inquiétant pour notre modèle de viticulture familial ».

Marion Saüquere se souvient : « Nous avions lancé une pétition en 2016 qui avait recueilli beaucoup d’adhésion, espérant ainsi faire réagir nos pouvoirs publics. Mais force est de constater que ça n’a pas servi jusqu’ici. » Faudra-t-il en passer par une mobilisation vigneronne ? La directrice de la CAVB ne se prononce pas. Mais se questionne. « On se demande parfois si on n’est pas trop gentils… » 

 * Prénom modifié. Ce vigneron a préféré rester anonyme

Quatre revendications majeures

La CAVB porte avec la CNAOC les revendications suivantes : poursuite du chantier engagé avec l’administration pour la simplification administrative : mise en œuvre d’un guichet unique avec la plateforme dites-le nous une fois ; aller plus loin dans la mise en œuvre du contrôle unique des exploitations ; assurer la dématérialisation de l’étiquetage nutritionnel sur les vins et publier au plus tôt la nouvelle version du décret n°2012-655 relatif à l’étiquetage et qui doit mentionner les cas d’exonération à l’application de la réforme nutritionnelle pour les ventes de vins français à destination de pays tiers à l’UE (près de 50% du volume des vins de Bourgogne) ; appliquer le principe d’une mise à jour majeure par an et par administration.

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