a Bourgogne jouit d’une image positive dans le monde du vin. Pourquoi souhaitez-vous, aujourd’hui, alerter sur cette image?
Manoel Bouchet : Car un écart se creuse entre la réputation de la Bourgogne et sa réalité économique. Et cet écart brouille les pistes du marché, crée des malentendus, induit en erreur les consommateurs, les distributeurs, voire les producteurs eux-mêmes. La transparence est toujours préférable. Il faut une “marque Bourgogne” plus réaliste.
En quoi l’économie de la Bourgogne est-elle si méconnue?
Nous transmettons, consciemment ou non, l’image d’un vignoble fait de petites exploitations, où le négoce reste l’exception, dont le succès commercial est insolent et la rentabilité enviable. Concernant le succès commercial, c’est globalement vrai. Pour le reste, on est loin du compte ! Le négoce a pris une place considérable, la taille des exploitations a augmenté, des investissements massifs dans l’outil de travail ont été réalisés, et les coûts de production ont bondi. Pour réussir en Bourgogne aujourd’hui, il faut être un gestionnaire pointu.
La part du négoce est montée en flèche, c’est-à-dire?
Dans les années 2000, la Bourgogne comptait environ 300 structures de négoce. Aujourd’hui 1 400 ! Dont 200 structures supplémentaires pour la seule année 2024… En termes de volumes, on s'approche désormais d’un 50/50 entre négoce et viticulture. C’est un mouvement de fond, en grande partie liée à la volatilité des rendements qui a poussé des propriétaires à ouvrir une structure de négoce en parallèle pour stabiliser leur offre. De même, beaucoup de domaines qui ont créé leur négoce se vendent à eux-mêmes les raisins, pour diverses raisons fiscales ou patrimoniales. Ce modèle hybride est en train de s’imposer en Bourgogne. Et dans son sillage, la taille moyenne de nos entreprises augmente.
C’est-à-dire?
Nous communiquons jusqu’ici sur une taille moyenne de 7 à 8 hectares par exploitation. Si on se cantonne aux parcelles en propriété, c’est vrai. Mais en ajoutant les approvisionnements issus du négoce, on passe peut-être sur des entreprises qui commercialisent un équivalent de 15 ou 20 hectares en moyenne… C’est ça la réalité de l’offre bourguignonne aujourd'hui.
Est-ce un bien ou un mal?
Ni l’un ni l’autre, je ne pose aucun jugement sur ce phénomène. Je dis simplement qu’il faut voir cette réalité en face pour piloter notre vignoble, en termes de gestion des stocks, de fixation des prix, d’endettement des entreprises… Si, je dois quand même remarquer un point positif : on voit davantage de cohésion dans cette Bourgogne qui jusqu’à peu était scindée entre négoce et propriété.
Partant de là, la séparation institutionnelle des “familles” entre négoce (FNEB) et propriété (CAVB) reste-t-elle pertinente?
Ce cadre bicéphale reste pertinent car au niveau réglementaire leur mission n’est pas la même. En revanche j’invite la viticulture à être plus active dans le négoce, et vice versa !
Vous disiez que les coûts de revient ont également bondi…
Oui, c’est un autre bouleversement économique des dernières années. Le phénomène est simple : la baisse moyenne des rendements s’ajoute à des coûts de production qui ont explosé. Pour ne citer qu’un exemple, on estime que les coûts de production du raisin ont augmenté de 48 % ces dix dernières années. Nous avons confronté nos chiffres avec ceux d’experts comptables, qui constatent les mêmes choses, dans les mêmes proportions…
Comment l’expliquer?
La baisse moyenne des rendements s’explique par la multiplication des aléas climatiques et les conséquences du dépérissement. Quant aux coûts de production, il faut évoquer en priorité les changements d’itinéraires techniques, le recours aux prestataires, les pertes liées au dépérissement, les investissements en cuverie et l’augmentation du foncier.
Faut-il sonner l’alarme?
Encore une fois il n’y a pas de jugement à porter sur ces évolutions qui s’inscrivent notamment dans une stratégie de premiumisation. Mais un diagnostic s’impose. Certes, le marché plébiscite notre montée en gamme. Mais nos entreprises ont-elles la capacité de la digérer? A-t-on investi aux endroits les plus stratégiques? Faut-il travailler à une adaptation de nos cahiers des charges, notamment des densités de plantation? Ces questions se posent de manière plus pressante pour les appellations régionales, qui représentent plus de 50% de nos volumes. Leur compétitivité est davantage remise en question.
Quelles sont les pistes d’amélioration selon vous?
Au Comité Bourgogne [anciennement BIVB, ndlr], mon pôle, auparavant nommé “marchés et développement”, vient d’être renommé “intelligence économique”, et pas par hasard. Notre approche consiste désormais à produire un maximum d’indicateurs avancés pour aider au pilotage de la filière. Je pense aux publications des niveaux de stocks dans Demat’vin, aux éditions d’itinéraires technico-économiques, aux études consommateurs, et bien d’autres... Désormais, nous souhaitons voir ces outils d’aide à la décision plus largement connus et utilisés.