e Brésil, terre d’avenir résumait Stefan Zweig en 1942. Le Brésil, terre d’espoir et de conquête pour les vins du monde en 2025. « Contrairement au reste du monde, le Brésil est un marché qui ne fait que se développer » pose Christian Burgos, le co-directeur du salon ProWine São Paulo, qui tient sa sixième édition du 30 septembre au 2 octobre dans la capitale économique et démographique du Brésil. Suivi par la rédaction de Vitisphere sur invitation de son organisateur, Messe Düsseldorf, l’évènement témoigne du dynamisme du marché avec son hall plein à craquer de 17 000 visiteurs pour 1 500 marques présentes et représentées. « Le marché brésilien augmente toujours, parfois avec des à-coups, mais pour le haut de gamme, il n’y a jamais eu de baisse, c’est toujours en augmentation » pointe Christian Burgos.


« Le marché des vins les plus chers et qualitatifs se développe mieux » confirme l’agent commercial Rogério Rebouças, spécialisé dans la commercialisation des vins français en Amérique du Sud et au Brésil, qui note un développement soutenu de la gamme des vin premium, vendus à plus de 10 € HT départ cave : « à ce prix on trouve de bons Bordeaux et crus bourgeois, de bons Languedoc… » esquisse l’agent, qui prévient les opérateurs français intéressés par cette nouvelle destination : « ce n’est pas un marché pour tout le monde : il faut être un professionnel de la culture brésilienne pour savoir s’adapter rapidement. Les politiques brésiliens peuvent agir de manière aberrante et il y a toujours de nouveaux obstacles à écarter. Et pour réussir sur ce marché, il faut assister la vente en créant du lien, en organisant des visites, en étant présent pour animer et former… Il faut investir, sinon on ne peut pas réussir. »
« Ce n’est pas un secret, pour vendre le vin il faut ouvrir la bouteille et la faire déguster » abonde le sommelier Gianni Tartari, consultant pour un importateur brésilien. Surtout qu’en réalité, « le consommateur brésilien connait très peu de choses aux vins. Les vrais amateurs de vin sont peu nombreux. Et il y a très peu de consommateurs » prévient le Master Sommelier. Si la taille du marché brésilien est relativement petite en termes de consommation, elle est grande géographiquement. « Il faut penser chaque région différemment. On peut d’abord s’attaquer à São Paulo, comme c’est la première ville du pays et que s’y trouvent les plus grands importateurs, puis la capitale Brasilia, ensuite Rio de Janeiro, la région du Nordeste… Il faut savoir que la plupart des importateurs n’ont pas la force de vendre leurs vins dans tout le Brésil. Surtout qu’il y a des taxes entre chacune des cinq régions administratives » pointe Gianni Tartari.
La première étape pour un impétrant à l’exportation de vin au Brésil est donc de « trouver un ou plusieurs importateurs » résume Gilles Barsalou, le gérant des domaines Barsalou (150 hectares en IGP Pays d’Oc, AOP Corbières et Languedoc pour moins de 500 000 hl/an). C’est l’objectif de sa présence sur le salon ProWine São Paulo : prospecter pour diversifier sa commercialisation et que la part de bouteilles dépasse celle de vin en vrac (l’an passé le rapport était de 40 contre 60 %). Voyant « tellement de choses à faire tant c’est énorme », Gilles Barsalou fait cependant état d’« un marché à fort potentiel, mais où l’on cherche d’abord du prix ».
« Les vins de France ne souffrent pas la compétition qualitativement, mais le consommateur regarde son prix et le compare à une bière ou à un vin chilien » constate Carlos Eduardo Chiaverini, le directeur de l’importateur Ganesh Logistica e Distribuicao à São Paulo (distribuant le Rosé Piscine de Vinovalie, le château Dauzac…). S’étant diversifié dans le vin il y a 7 ans, le distributeur témoigne de l’explosion du marché, avec une multiplication par 10 000 de son activité sur la période (avec une forte croissance des ventes de vin en ligne). « Vu la taille du pays, il y a encore de la marge de croissance : x10 au moins. Le Brésil sera toujours un endroit où vendre plus de vin » affirme Carlos Eduardo Chiaverini, pour qui « le marché brésilien est immense et il y a encore de la place à prendre ». Mais encore faut-il apprendre la culture du vin aux consommateurs pour qu’ils suivent.


« Le nombre de consommateurs ne cesse d’augmenter, mais le maillon faible reste la connaissance du vin » analyse Tatiana Angelini, conseillère en développement des vins et spiritueux au Brésil pour l’agence Business France. Constatant qu’au Brésil « la culture du vin est très irrégulière, avec des écarts énormes », la spécialiste de l’accompagnement export pointe que le marché brésilien suit les tendances, se mettant actuellement aux vins blancs comme ailleurs.
Tatiana Angelini relève une autre tendance moins visible : le vignoble brésilien fait sa révolution qualitative, avec l’arrivée d'une nouvelle vague, une bossa nova de vignerons portés sur l’expérimentation technique afin de déterminer de nouveaux terroirs et proposer des cuvées adaptées aux grandes tables gastronomiques. Ayant créé en 2020 le domaine Manus Vinhas & Vinhos (14 ha au Sud du pays, dans la commune d’Encruzilhada do Sul), le vigneron Gustavo Bertolini en est un bon exemple : il a réalisé en 2024 une sélection de cinquante levures indigènes sur son domaine et vient de conclure la cartographie pédologique de ses terroirs (une demande d’indication géographique est en cours).
La culture du vin, et de la vigne, s’implantant au Brésil, c’est bien « un marché d’opportunités » qui s’ouvre aux vins français. « L’offre est submergée par les vins d’Argentine, du Chili, du Portugal… Alors que les consommateurs cherchent des choses différentes » avance Marcelo Hidalgo Gonçalez, PDG de l’importateur H3Vinhos, qui a commencé son activité en 2018 avec les vins de Gérard Bertrand, notamment la marque Cote des Roses (AOP Languedoc) : « nous avons travaillé et lancé la marque en la rendant présente dans les beach-club et le monde de la nuit » se souvient Marcelo Hidalgo Gonçalez, qui fait l’éloge des petits importateurs qui développent les marques avec plus de soin que les grandes (la marque Cote des Roses étant un temps passé chez un plus gros importateur, mais sans que les résultats conviennent au groupe languedocien qui a reconfié ses vins à H3Vinhos. Maintenant, l’importateur reconnait qu’il est difficile pour un nouvel opérateur de rentrer sur le marché : « il faut soit avoir une marque déjà forte à l’international (le marché brésilien étant friand de validation par l’export), soit avoir des prix d’entrée de gamme (très bas), soit investir pour créer une gamme (ce que l’on a fait avec les clubs). »
L’objectif n’étant pas de dévaloriser les vins, « pour vendre en volume au Brésil, il faut capitaliser sur une bonne image de marque, reposant sur une communication efficace (sur des lieux de vente emblématiques et avec des influenceurs) » conseille André Jurgen Rios, chef de pôle Agritech au Brésil pour Business France. Concrètement, cela peut passer par du travail marketing pour « vendre plus que du vin, mais une expérience. Avec la marque d’effervescents Café de Paris on a les idées de voyage, de la France… » esquisse Linda Schoemaker, la directrice commerciale export de Cordier (groupe InVivo basé à Bordeaux).


L’experte en export relève que « beaucoup d’entreprises du vin ont un œil sur le Brésil. Il y a un fort besoin de diversifier les marchés, alors que les destinations matures sont de plus en plus difficiles (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas…). » Notant que le marché de consommation est gouverné par les prix (« on le voit en regardant les linéaires de vins d’Argentine, du Chili… »), Linda Schoemaker note le défi de sortir les vins français d’une image de luxe limitant les moments de consommation. Le coup de pouce de l’accord de libre-échange entre l’Europe et le Brésil (via le Mercosur) pourrait aider à gagner en accessibilité avec la réduction jusqu'à 0 de droits de douane s'élevant à 27 %. D’où la nécessité de prospecter des débouchés au plus vite : « on se dit qu’il faut être là le plus tôt possible, si l’on veut avoir un temps d’avance ».
Sujet de tensions entre la Commission européenne et l’agriculture française en général, l’accord du Mercosur est une source d’espoir pour la filière des vin en particulier. Le Conseil européen pourrait valider l’accord commercial en décembre 2025, le Parlement européen pourrait le ratifier lors du premier trimestre 2026. Une mise en application étant envisagée dès la fin 2026 à Bruxelles. « L’accord Union Européenne-Mercosur ne prévoit qu’une réduction progressive des droits de douane sur la plupart des vins, étalée sur plusieurs années*, ce qui est en soi loin d’être idéal » reconnait Ignacio Sánchez Recarte, le secrétaire général du Comité des Entreprises Européennes du Vin (CEEV), « mais ce calendrier a été le prix à payer pour obtenir l’accès au marché brésilien, et nous reconnaissons qu’il s’agissait du meilleur compromis possible. Raison de plus, donc, pour ratifier l’accord sans plus attendre : chaque retard signifie reporter des opportunités dont nos producteurs ont un besoin urgent. »


« Nous devons nous redéployer » témoigne Michel Dobbé, à la tête des cognacs Dobbé (40 ha en Petite Champagne, avec 2,5 millions € de chiffre d’affaires à 95 % à l’export). « À Cognac, notre maison familiale a été acceptée par le gouvernement chinois pour mettre en place un prix minimum, mais il y a une crise économique en Chine. Il faut se relancer sur le marché américain après la taxe de 15 % et autant avec les taux de change… C’est un moment de convergence des difficultés en Chine et aux États-Unis. En plus des signaux baisse de la consommation des spiritueux par les jeunes » rapporte le distillateur charentais, qui reste cependant optimiste et mobilisé dans un redéploiement commercial global.
« On a intérêt à faire tourner notre imagination pour continuer à vivre » souligne Michel Dobbé, qui différencie aussi sa production (whisky de 5 ans avec un finish en fût de cognac, lancement d’une eau-de-vie de vin sans vieillissement pour s’ouvrir aux cocktails et faire tourner la trésorerie avec moins d’immobilisation). Et qui diversifie ses marchés en prospectant l’Afrique (Nigeria, Afrique du Sud…) comme l’Amérique du Sud (pour faire du Brésil un point d’appui pour l’Argentine, le Chili…). Le Brésil est pour lui « un marché à gros potentiel. Il y a une opportunité avec les derniers accords entre la Commission européenne et le Mercosur. On y va en éclaireur » indique Michel Dobbé.
C’est donc le moment de se faire une place au Brésil abdonde Maxime Blin, à la tête des champagnes Maxime Blin (14 ha en bio et en Côtes des Blancs pour 100 000 bouteilles vendues à 70 % export). Ayant déjà été présent sur le marché brésilien de 2008 à 2016 (la crise économique de 2014 ayant mis un terme), le vigneron a l’« envie de revenir pour se diversifier. L’Amérique du Sud n’est pas du tout développée pour nos ventes, alors que les marchés européens et américains sont compliqués ». Ayant multiplié les touches, pour le Brésil et d’autres marchés sud-américains, Maxime Blin attend maintenant que cela se concrétise.
ProWine São Paulo prend déjà rendez-vous du 6 au 8 octobre 2026 pour sa prochaine édition et sa porte d’entrée à un marché en perpétuelle évolution. Comme l’analyse Stefan Zweig : « quand on décrit le présent du Brésil, c'est déjà, sans le savoir, du passé qu'on parle. C'est seulement en ayant déjà son avenir en vue qu'on lui donne son véritable sens. »
* : L’accord UE-Mercosur distingue cinq cas pour les réduction des droits de douane sur les vins européens au Brésil. Pour les vins tranquilles, il faut distinguer les bouteilles, qui connaîtront une réduction linéaire sur 8 ans, des vins en vrac, qui sont exclus de l’accord. Pour les vins effervescents, il y a ceux de Champagne dont la réduction sera progressive sur 8 ans, quand les autres vendus plus de 8 $/l FOB bénéficieront de 0 droits de douane directement, tandis que ceux vendus moins de 8 $/l verront la levée des tarifs seulement au terme de 12 années (sans réduction progressive).