e tunnel Khareba est sans doute l’attraction la plus touristique de la Kakhétie, la région viticole située à 130 km à l’est de Tbilissi. Cette galerie souterraine de 7,7 km fut creusée à l’époque de l’URSS pour le domaine viticole de Khareba ou, selon les sources, dans un objectif militaire. Cinq musiciens-chanteurs en costume traditionnel guerrier accueillent le public dès l’entrée de cette cave. Des touristes indiens croisent une dizaine de jeunes Parisiens venus passer une semaine entre copains : « On adore la Géorgie ! », affirment-ils.
À l’extérieur, les visiteurs peuvent découvrir une collection de 300 cépages, un moulin à eau, un four à pain géorgien. De multiples propositions agrémentent la visite : cours de cuisine géorgienne, distillation de chacha (alcool de marc), cérémonie d’ouverture d’un kvevri (50 € par personne, minimum cinq participants). Les kvevris, dont le nom se prononce curieusement « cuverie », sont ces jarres en terre cuite enterrées où les paysans cachaient le vin, les céréales et d’autres nourritures, et où des archéologues ont découvert les premières traces de vinification au Néolithique.
Avec 1 500 ha de vigne et quatre chais, Khareba produit chaque année 10 à 12 millions de bouteilles et en exporte 7 à 8 millions. Le plus vieux vin en bouteille de cette winerie ne date que de 2005, et la visite résume bien la Géorgie viticole : huit millénaires d’histoire, 70 années de table rase soviétique puis une renaissance à partir des cépages locaux préservés dans les jardins familiaux.
Situé à Telavi, 90 km à l’est de Tbilissi, le domaine Shumi est également signalé par les pancartes de la « route des vins ». Son propriétaire, Temuri Lomsadze, l’a créé en 1996, juste après l’époque soviétique. Il produit des vins sur 202 ha et collectionne 2 000 cépages dans un jardin où une monumentale statue de griffon accueille le public.
À mi-chemin entre guinguette, musée et cabinet de curiosités, avec ses fresques colorées au saperavi – un cépage rouge teinturier –, Shumi a reçu de nombreuses distinctions pour ses activités Å“notouristiques. Tandis que les enfants s’intéressent aux lapins du clapier, l’on déguste des vins élaborés avec des cépages géorgiens peu productifs, retrouvés dans les jardins familiaux. Leur iconique cuvée Zigu est un vin muté, assemblage de plusieurs centaines de cépages.
Le domaine Shumi accueille jusqu’à 400 visiteurs par jour pour un verre, une collation, un repas, la visite du musée où l’on apprend que les Géorgiens enseignèrent la viticulture aux Grecs, puis les Grecs aux Romains. « Notre philosophie est de mettre en avant la Géorgie », résume Temuri Lomsadze, qui envisage de créer un hôtel d'une capacité de 33 chambres.
À l’inverse de Khareba et Shumi, le domaine Eclipse, créé en 2019, ne joue pas la carte du folklore et du passé. Son activité oenotouristique consiste à louer cinq appartements où les hôtes peuvent cuisiner, et Bachana Abesadze, l’Å“nologue du domaine, anime visites et dégustations.
Autre ambiance et autres investissements chez Radisson Blu Tsinandali, l’hôtel voisin de Shumi, qui possède 35 ha de vigne. À l’origine, c’était un domaine fondé par le prince Alexander Chavchavadze (1786-1846), militaire, poète et proeuropéen qui admirait la France et l’Italie. Ce prince fit bâtir de splendides caves à l’occidentale, aujourd’hui valorisées par des événements privés des conférences, des dîners de gala et des festivals.
Afin que les clients sortent le moins possible de l’hôtel, Nika Kurashvili, chef sommelier de ce domaine de 35 ha, organise maintes activités : randonnée dans les vignes, dégustations de vin et de chacha, vendanges d’août à octobre, masterclasses de vinification, de cuisine géorgienne, festivals de musique… Lorsqu’on visite le musée installé dans les caves, Nika Kurashvili présente « une bouteille de 1839, la plus ancienne élaborée dans le style européen ». Une salle de dégustation secrète, accessible en poussant un mur, impressionne les visiteurs fortunés.
De même, le château Mukhrani, à 40 km au nord de Tbilissi, fut une résidence et un domaine viticole conçus sur le modèle français par le prince Ivane Bagration de Moukhrani (1812-1895). Incendié en 1992, acquis par l’homme d’affaires suédois Frederik Paulsen, ce monument historique est redevenu un haut-lieu de la viticulture géorgienne après de lourds investissements et la plantation de 100 ha de vigne.
Ici, pas de chambres d’hôtel – le château est trop petit – mais diverses activités qualifiées d’hospitalités. « On ne voulait ni un musée, ni un hôtel, mais un lieu vivant, explique Patrick Honeff, son directeur. L’hospitalité représente 43 % de nos revenus et la vente du vin 57 %. On a déjà un restaurant. On en ouvre un second. Notre orangerie accueille des mariages avec 500 invités, des conventions d’entreprise. Nous avons ouvert une galerie d’art, tout cela afin que les gens de Tbilissi aient plusieurs raisons de venir. »
Les Géorgiens affirment que le vin est né dans leur pays, ce qu’ils ne manquent pas de faire savoir à leurs visiteurs. D’innombrables souvenirs pour touristes se réfèrent à la vigne et au vin. Des monuments se dressent sur la « route des vins » qui figure sur de nombreuses cartes touristiques. Une route des vins… surprenante. Jean-Michel Fraisse, sociologue et consultant demeurant à Telavi, affirme : « Il n’y a pas de charte ni de cahier des charges pour figurer sur cette route. C’est comme pour vendre des courgettes à la porte des maisons. »Ces petits domaines pratiquent une viticulture d’amateurs dans leurs jardins familiaux, où ils ont sauvé de nombreux cépages du rouleau compresseur russe. Souvent, ils obtiennent des vins qui peuvent décevoir un palais occidental. Leur découverte fait partie des surprises que réserve l’Å“notourisme en Géorgie.