Les exploitations en viticulture bio seraient particulièrement impactées par une réduction importante de l’usage du cuivre et à fortiori par son retrait total. Dans certaines situations, il deviendrait difficile de maintenir une certification AB ». Alors que l’Europe doit décider sous peu de la réapprobation ou non du cuivre, l’Anses a publié cet été un rapport dont les conclusions sont sans ambiguïtés.
L’Anses estime qu’avec une dose de cuivre réduite de 50% (2kg/ha/an) le rendement à l’hectare chuterait de 25% en zone méditerranéenne et de 34 % en zone atlantique. Si le cuivre était interdit, les rendements seraient amputés de 50% en moyenne. Et en cas de forte pression, l’agence évoque des pertes de 70 % en zone atlantique à 90 % dans le sud de la France.
« Ces chiffres me semblent cohérents », réagit Philippe Rothgerber, viticulteur et arboriculteur à Treheim (Bas-Rhin) et administrateur à Bio Grand Est. Julien Franclet, vigneron à Mouchan dans le Gers et président de SudVinBio, n’est pas davantage surpris si ce n’est du « peu d’écart entre zone atlantique et zone sud ».
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En revanche, pour Pascal Boissonneau, président des Vignerons bios de Nouvelle-Aquitaine et vigneron à St-Michel-de-Lapujade en Gironde, « les pertes de rendement sont sous-estimées. En cas d’année pluvieuse dans notre région, elles pourraient être de 100 % avec 2 kg/ha/an si on ne peut pas traiter au bon moment ». Sébastien David, président de FranceVinBio et vigneron à St-Nicolas-de-Bourgueil (Indre-et-Loire), craint pour sa part « des pertes de rendements supérieures à 70% » dans sa région, en cas d’interdiction du cuivre.
L’Anses a aussi évalué la hausse du coût de la protection si le cuivre était interdit ou plafonné à 2 kg/ha/an. Dans le premier cas, la dépense serait alourdie de 277 €/ha/an en zone atlantique et de 217 €/ha/an dans le sud. Dans le second, il faudrait payer 55 ha/an de plus en zone atlantique et 74 € dans le sud.
Cette fois tous les responsables professionnels bondissent. « Ces chiffres ne tiennent pas compte de la valeur ajoutée des raisins », déplore Pascal Doquet, vigneron à Vertus dans la Marne et référent cuivre à la Fnab (fédération nationale de l’agriculture biologique). « L’Anses devrait aussi prendre en compte les passages supplémentaires, l’impact sur le tassement du sol… Sans oublier le coût des pertes de marché suite à un manque de volumes et la perte de compétitivité avec d’autres zones de production bio dans le monde qui ne subiraient pas les mêmes restrictions », souligne Philippe Rothgerber.
Autre chiffrage de l’Anses : la hausse que les vignerons devraient appliquer au prix de leurs bouteilles pour maintenir leur marge. L’Agence prend l’exemple d’un vin à 5 €/col. Avec une demi-dose de cuivre, elle calcule qu’il faudrait augmenter son prix de 19% dans le sud et de 33% en zone Atlantique. En cas d’interdiction du cuivre, il faudrait appliquer 63% de hausse dans le sud et 87% en zone atlantique.
« Il est évident qu’il faudra augmenter les prix. Mais le consommateur ne l’acceptera pas et ira voir ailleurs », souligne Philippe Rothgerber. « Ces hausses sont irréalisables dans le contexte actuel », renchérit Pascal Boissonneau.
Au final, l’Anses admet que « les scénarios de forte réduction et de retrait du cuivre entraînent des performances technico-économiques inférieures à la situation actuelle » en bio et même en viticulture conventionnelle (hors usage de produits de synthèse).
« Ce rapport confirme nos positions, déclare Julien Franclet, président de SudVinBio. Supprimer le cuivre ou en réduire l’usage serait un coup de poignard contre le bio et l’Anses le confirme en s’appuyant sur des experts indépendants ».
Cependant quelques semaines après avoir publié cette étude, l’Anses a interdit de nombreux produits cupriques et restreint très fortement l’usage des deux seuls qu’elle a réhomologués (voir page précédente). « Personne ne voit de cohérence dans ces décisions », pointe Pascal Doquet. Pascal Boissonneau juge même « schizophrène » l’agence qui un jour rend un rapport défendant, en creux, le cuivre et le lendemain taille à la hache dans la pharmacopée.
Les bios sont plus que jamais mobilisés pour défendre ce produit à sa dose actuelle. « Nous allons nous servir du rapport de l’Anses dans notre combat », confie Pascal Boissonneau. « A France Vin Bio, nous allons travailler avec les organismes bios d’autres pays d’Europe, annonce Sébastien David. Restreindre encore l’usage du cuivre ou, pire, l’interdire mettrait en jeu la survie de la viticulture bio alors que l’Etat souhaite une viticulture durable ».
La vigne ne serait pas la seule culture à payer cher la restriction de moitié ou l’interdiction d’emploi du cuivre. Pour la pomme de terre, cette interdiction entrainerait « des pertes systématiques de rendement en bio », note l’agence, même avec des variétés résistantes au mildiou. Pour la pomme, les choses seraient moins dramatiques. « On pourrait avoir des conséquences non-négligeables en termes de pertes de rendement, de coûts supplémentaires et de pertes de marge », indique l’Agence dans son rapport. Contrairement à la pomme de terre où le cuivre est indispensable pour lutter contre le mildiou « on peut maîtriser la tavelure avec un produit de biocontrôle » explique Philippe Rothgerber, qui est aussi pomiculteur.


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