e jour où la planète Bordeaux s’arrêta ? Ce lundi 15 septembre à Beychac-et-Caillau (Gironde), le conseil d’administration des appellations Bordeaux et Bordeaux Supérieur n’a pas réussi à s’entendre sur l’élection du bureau proposé par son nouveau président. D’abord faute de majorité absolue au premier tour pour les candidats présentés par la nouvelle présidence (environ 20 voix pour et 30 contre par candidat). Puis faute de consensus sur la définition de la majorité relative pour pouvoir tenir une deuxième tour (inhabituel dans cette instance).


De quoi mettre à jour les tensions entre un canal historique qui se voit majoritaire malgré la perte de la présidence et une opposition qui veut gouverner après une victoire électorale sur le fil ? De quoi faire également un parallèle avec la situation politique nationale, avec un parlement viticole tenant de l’Assemblée nationale ? « Appelons Lucie Castets ! » plaisante déjà un vigneron malicieux. « C’est le bazar, il y a eu une prise de pouvoir sans avoir pensé à un programme ni avoir pensé à la suite faute d’expérience » soupire un syndicaliste viticole extérieur à l’Organisme de Défense et de Gestion (ODG). Rapportant une « réunion tendue », un membre du conseil d’administration sent monter les problèmes : « on a commencé à parler d’avocats et de tribunaux... Il pourrait y avoir de nouvelles élections dans 15 jours, on verra si des transactions vont s’effectuer. Il faut que l’on avance. »
Élu de justesse le lundi 26 août à la présidence de l’ODG des Bordeaux, le vigneron et distillateur Michel-Éric Jacquin indique à Vitisphere avoir suspendu le vote du bureau et demandé à son conseil d’administration de mandater le conseil juridique ayant rédigé les statuts 2025 du syndicat* pour préciser les modalités de vote à la majorité relative. Un deuxième tour étant « rare » dans l’ODG des Bordeaux, habitué aux nettes majorités. « Un nouveau conseil sera convoqué dès que possible » esquisse Michel-Éric Jacquin. L’adhérent de l’association contestataire collectif Viti 33 jugeant que « dans la situation économique actuelle, cette situation de blocage par l’ancienne équipe est dégradante et honteuse ». L’ODG est-elle en situation de blocage institutionnel faute de consensus ? Pas pour l’équipe sortante qui appelle à une ouverture du bureau prenant en compte son poids politique.


Menant l’équipe sortante, le vigneron Stéphane Gabard, président de décembre 2020 à août 2025, acte sa défaite électorale, mais revendique une « majorité confortable » au conseil d’administration, ce qui change la donne pour lui : « comme le conseil d’administration prend toutes les décisions dans l’ODG, selon les statuts, la question du bureau est presque un faux problème. Ça ne devrait pas causer de blocage. Le président est juste là pour présider. Le bureau est là pour les questions de bâtiment, de gestion du personnel... » Le bureau pourrait être nommé si « la nouvelle équipe fait preuve de son ouverture », notamment pour coconstruire la stratégie de l’ODG. Ce qui fait grincer des dents parmi les membres de la nouvelle équipe, où l’on relève qu’une place au bureau était proposée à Stéphane Gabard. Ce dernier relevant que « pour l’instant, il n’y a pas eu de proposition collective, mais des tractations individuelles. Pour adhérer à un projet, il faut le connaître. »
Ayant un programme pouvant aller de la création d’une IGP Bordeaux à la refonte des Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO) en passant par l’avenir du siège de l’ODG (Planète Bordeaux à Beychac-et-Caillau), Michel-Éric Jacquin reconnait qu’en l’état « tout est figé. Pour le moment, la priorité est de faire les vendanges. On attend la réponse juridique du conseil qui a rédigé les statuts 2025 ». Alors que certains évoquent la question des délégations de l’ODG pour avoir des représentants dans les instances de la filière (Fédération des Grands Vins de Bordeaux, Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux…), Stéphane Gabard relève que « le nouveau président a annoncé qu’il ne toucherait pas aux représentations pour l’instant. L’avenir dira s’il y a un enjeu. Mais nous sommes sereins, les délégations sont décidées par le conseil d’administration. »


Dans l’immédiat, les tensions font craindre « le déclenchement d’une guerre entre deux camps. Sous couvert de discuter d’un bureau commun, ils semblent plus attendre un avis juridique » pointe un vigneron siégeant à l’ODG qui ne veut pas prendre parti. Proche de Michel-Éric Jacquin, un autre membre du conseil d’administration regrette que le bureau n’ait pas été adopté dès le 26 août, l’information ayant été donnée, à tort, que le nouveau bureau était validé avec l’élection à la présidence. « On nous a sorti un vice de procédure… Maintenant qu’ils ont fait le tour des pouvoirs, ils font barrage alors que l’on propose l’ouverture. Nous n’avons rien à cacher, ils ont la défaite amère et veulent que l’on se ramasse » glisse cet opérateur. Pour Stéphane Gabard, le principe était jusque-là que le candidat à la présidence présentait en même temps son bureau aux suffrages : « là, le bureau n’a pas été donné à la demande de Michel-Éric Jacquin et il y a eu élection sans avoir de bureau présenté alors que nous avions l’habitude d’un binôme. Le bureau a été donné après l’élection du candidat, il aurait fallu une autre élection. »
Le titre de président des Bordeaux est-il alors honorifique sans bureau ni majorité ? Pas pour Michel-Éric Jacquin, qui se dit « aujourd’hui le seul mandataire avec la signature du syndicat », mais reconnait que « pour aller travailler, c’est compliqué tant que je ne peux avoir une équipe qui m’entoure ». Réfutant bloquer le syndicat, Stéphane Gabard, note que « l’attentisme que l’on est en train de vivre a quelque chose d’inédit, un président sans majorité, mais qui ne surprendra personne, on le vit au quotidien. Je suis sûr qu’il y a un moyen de trouver des consensus. » Une élection du bureau pourrait l’incarne : le jour où la planète Bordeaux repartira ?
* : Une révision lancée en 2024 après une critique de Michel-Éric Jacquin sur l’élection passée d’un délégué de canton dont le siège social se trouvait sur une autre commune.
Sans bureau, Michel-Éric Jacquin reconnait qu’en l’état « tout est figé. Pour le moment, la priorité est de faire les vendanges. On attend la réponse juridique du conseil qui a rédigé les statuts 2025 ». Photo : ODG Bordeaux.
« Le président a bien été élu au dernier conseil d’administration, il avait plus de voix que moi-même. Il est légitime, mais hier il a monté qu’il n’a pas la majorité au conseil d’administration » déclare Stéphane Gabard. Photo : Archives Vitisphere 2024