homas Schaurer est à bout, exaspéré face à ce qu’il perçoit comme l’incapacité des instances professionnelles allemandes à répondre à une crise sans précédent au sein de la filière. Il dénonce à la fois la pression exercée par la grande distribution sur les prix, et une gouvernance dominée, selon lui, par « des hommes âgés qui ne changeront jamais de mentalité ». Il estime que la faillite de milliers de domaines viticoles est imminente, et avec elle, la disparition progressive des paysages façonnés par la vigne et d’un pan essentiel de la ruralité. « Nous ne voulons pas de pitié. Nous demandons simplement que les consommateurs allemands fassent des choix réfléchis. En l’absence de changement ou de décisions claires, près de la moitié des vignerons allemands pourraient disparaître. Après, c’est aux Allemands de décider », prévient-il.
Un marché structurellement déficitaire
L’Allemagne est loin d’être auto-suffisante pour sa consommation de vin. Elle produit entre 8 et 9 millions d’hectolitres alors que sa consommation en 2024 était estimée par l’OIV à 17,8 Mhl. « Nous savons que nous ne produisons qu’environ 49% de nos besoins, mais notre part de marché est tombée désormais à 42% », analyse Thomas Schaurer, à la tête d’un domaine de 33 hectares en Rhénanie-Palatinat. Une situation qui, selon lui, renforce la perception des enseignes de grande distribution et des discounters selon laquelle les vins allemands n’intéressent plus les consommateurs. Résultat : certaines références sont actuellement proposées à 1,79 € la bouteille, voire à 0,99 €, « un prix inférieur à celui d’une bouteille d’eau minérale ! » Initialement réticent à s’engager dans les affaires politiques de la filière, Thomas Schaurer dit avoir été bouleversé par les pensées suicidaires d’un voisin vigneron, ainsi que par « l’indifférence des instances professionnelles ». Le 12 mai dernier, il a donc fondé l’association Zukunftsinitiative Deutscher Weinbau. « Des vignerons de toute l’Allemagne ont commencé à me contacter, me disant que j’étais le seul à exprimer leur désarroi et qu’ils étaient prêts à m’aider pour qu’on se fasse entendre ».
Les instances professionnelles réagissent
L’association revendique actuellement 164 membres actifs et « le soutien passif de centaines d’autres familles de vignerons ». Ses appels semblent avoir contraint les organismes professionnels à réagir. Fin août, tout en contestant l’ampleur des faillites annoncées, le Deutscher Weinbauverband (DWV) a reconnu dans un communiqué que 30% des surfaces viticoles allemandes risquaient de disparaître. « Cette hypothèse – scientifiquement prouvée – se fonde sur l’évolution et l’évaluation future des chiffres sur la consommation et des ventes ainsi que sur les tendances démographiques mondiales », note le DWV. Et de concéder : « Peu importe qu’il s’agisse de 30% de la surface ou de 50% des entreprises concernées, l’essentiel est que la situation est dramatique et les responsables politiques fédéraux ne peuvent continuer à nous ignorer…La viticulture allemande traverse une crise profonde ». Dans ce contexte, l’organisme salue le Paquet viticole 2025plus annoncé récemment par la ministre chargée de la viticulture en Rhénanie-Palatinat, Daniela Schmitt, tout en réclamant « une boîte à outils pour les arrachages, la vendange en vert et la distillation », des solutions qu’il estime « ne doivent plus être tabous ».
Préférence nationale et responsabilité collective
De son côté, le Zukunftsinitiative Deutscher Weinbau dit ne pas réclamer « de nouvelles subventions » mais en appelle plutôt au soutien du public. « Une seule bouteille de vin allemand supplémentaire par habitant et par an – au lieu d’une bouteille importée – peut assurer la base économique permettant aux familles de vignerons de continuer à produire du vin en Allemagne, tout en maintenant les normes environnementales et de responsabilité sociale qui s’appliquent ici ». S’il accepte la présence des vins importés sur les linéaires, Thomas Schaurer assume cet appel à la préférence nationale : « On a le droit de donner la priorité à notre propre pays ! » En même temps, il défend l’équité des prix pour tous les vignerons : « Nous voulons que les consommateurs fassent des choix responsables, qu’ils ne consomment pas simplement les vins les moins chers. Il n’est pas normal que les vignerons, qu’ils soient allemands, français, italiens ou espagnols, ne soient payés que 30 ou 40 centimes le litre. En Allemagne, les vignerons travaillent entre 60 et 90 heures par semaine et leurs vins sont proposés à 99 cts la bouteille ! » Si une première journée nationale de sensibilisation le 30 août n’a pas donné les résultats escomptés – « faute de temps pour la préparer » - Thomas Schaurer entend continuer son combat : « Nous devons rappeler aux consommateurs que leurs choix d’achat ont des conséquences, y compris sur les conditions de travail dans les vignes et les caves. C’est au niveau mondial que les règles du commerce doivent être repensées, pour protéger à la fois la planète et ceux qui la cultivent ».