Quelle est la différence entre un rouge clair et un rosé foncé ?, interroge Nicolas Dutour, Å“nologue aux laboratoires Dubernet. La réponse, c’est qu’il n’y en a pas. Or, contrairement aux rosés, les rouges clairs ne sont pas traités à la bentonite. On s’expose donc à un risque de casse protéique qui sera d’autant plus visible qu’on tire ces vins dans des bouteilles blanches. »
L’expert parle en connaissance de cause. « Récemment, raconte-t-il, un gros négoce nous a envoyé une bouteille de pinot noir présentant un trouble qui est apparu pendant un embouteillage à chaud. C’était une instabilité protéique : on a traité à la bentonite et le problème était réglé. »
Avant cela, il s’était déjà intéressé au sujet. Il avait récupéré des vins rouge léger du millésime 2024 auprès de ses clients et en magasin afin de les soumettre au test de la chaleur. « Près de 70 % de ces vins se sont révélés instables, assène-t-il. Et pas forcément les plus clairs ou les moins structurés. » D’après l’Å“nologue, impossible de corréler l’intensité colorante à l’instabilité de ces vins.
Autre constat : l’instabilité n’est pas seulement protéique, elle tient aussi à la couleur. Dans certains échantillons, ce sont les protéines qui ont créé le trouble, dans d’autres la couleur. « Ces troubles sont liés à une faible teneur en tanins dans ces vins, explique Nicolas Dutour. S’il n’y a pas assez de tanins, il reste des protéines ou des anthocyanes libres. De ce fait, des voiles peuvent apparaître. Dans les vins rouges classiques, ces problèmes n’apparaissent pas car les tanins se combinent aux protéines pour les précipiter et stabilisent la couleur en créant des complexes anthocyanes-tanins. »
De ces observations, l’Å“nologue tire déjà des recommandations. « Il est préférable de coller à la bentonite entre 30 et 50 g/hl, voire plus, pour les rouges légers obtenus avec des presses de rosés. Pour les autres vins, il faut vérifier au cas par cas. »
Selon Paul-André Saulnier, associé au laboratoire d’Å“nologie ES20, à Béziers, le sujet s’invite de plus en plus sur la table. « On reçoit des échantillons de vins rouges très clairs avec, pour certains, un risque de casse protéique, rapporte-t-il. Or, les dépôts sont toujours mal acceptés par les consommateurs… sauf peut-être dans le monde des vins nature. »
L’expert considère que la vigilance est de mise surtout pour l’export. « Pour les vins rouge léger qui partent vers l’Asie ou les pays exigeants d’un point de vue qualité, il ne faut pas prendre de risque et contrôler leur stabilité protéique avant la mise. S’ils sont instables, il faut faire des essais de collage à la bentonite, en ayant en tête que cet additif réagit également avec la matière colorante et qu’il faut donc augmenter les doses par rapport à un blanc ou à un rosé, afin d’éliminer les protéines. »
Si, d’après Nicolas Dutour, l’instabilité est liée aux protéines autant qu’à la matière colorante, Vincent Renouf, directeur du laboratoire Excell, est d’avis que seule la matière colorante est en cause. Lui aussi a réalisé des tests de stabilité à la chaleur, sur une trentaine d’échantillons de vins rouge léger. « Sur environ 30 % de ces vins, établit ce dernier, j’ai vu un trouble apparaître alors qu’ils ne renfermaient pas de protéines. Le peu de protéines que contiennent les vins rouges se combinent toutes avec les tanins. En revanche, il y a plus d’anthocyanes que de tanins, si bien qu’il reste des anthocyanes libres, qui ne supportent pas la chaleur. D’après nous, l’instabilité est uniquement liée à la matière colorante. »
Il faut donc être particulièrement prudent avec les vins qui risquent de subir de fortes chaleurs, lors d’un transport en été ou d’une exportation vers des pays chauds. « L’idéal, c’est de soumettre ces vins à la chaleur », indique Vincent Renouf. Si le test révèle une instabilité, l’expert conseille un traitement par électrodialyse ou un passage au froid, afin de prévenir toute précipitation tartrique, élément déclencheur d’une chute de matière colorante. « On peut aussi traiter ces vins à la bentonite calcique, qui fixe très bien la couleur, ajouter des tanins afin de stabiliser la matière colorante ou bien des mannoprotéines, qui empêche la précipitation tartrique et le trouble protéique. Autre produit, délaissé et qui fonctionne pourtant très bien, qui respecte le vin et est peu coûteux : le gel de silice. »
Vincent Renouf admet toutefois qu'« il est nécessaire de mener plus d’essais pour mieux comprendre et prévenir ces instabilités ». Et tempère : « Hormis dans le cas de vins destinés à l’export, on atteint rarement les conditions drastiques des tests à la chaleur ». À en croire cet expert, le risque qu’un rouge léger se trouble avant d’être consommé est faible, d’autant que ces vins sont destinés à être bus rapidement. Mais mieux vaut prévenir, afin de ménager la confiance des consommateurs dans ces nouveaux produits.
Nicolas Dutour, Å“nologue aux laboratoires Dubernet explique : « Les accidents liés à la matière colorante ne sont pas nouveaux. C’est la conséquence de la réduction du collage et de l’abandon de la gélatine. Des vignerons ne comprennent pas pourquoi ils ont des dépôts de matière colorante en bouteille alors qu’ils ont filtré. Le plus souvent, ils filtrent avec un tangentiel sans coller au préalable en pensant que la filtration suffit à se préserver des instabilités. Mais cela ne suffit pas à stabiliser la matière colorante. Quand ces vins sont consommés rapidement, personne ne s’en rend compte. Mais au bout d’un an et demi, une grande quantité d’entre eux finit par présenter des précipités en bouteille. »