Avant, je changeais souvent de bactérie selon ce qu’il y avait de disponible chez mon fournisseur. Mon but, c’était surtout que la malo se fasse, raconte Christophe Guicheney, propriétaire des 50 ha du château Piconat, basé au cœur de l’Entre-Deux-Mers à Soussac. J’étais convaincu de l’impact aromatique des levures, mais plus sceptique sur celui des bactéries ».
Un scepticisme qui n’est plus de mise. L’an dernier, Christophe Guicheney compare deux bactéries de l’IOC : Extraflore Pure Fruit et Extraflore Density. « On a séparé une cuve de merlot en deux lots identiques après vinification que l’on a inoculé avec ces deux bactéries en fin de FA à l’écoulage à la dose d’1,5 g/hL. Puis, nous avons maintenu les cuves à 18-20°C » explique-t-il.
Les malos se sont terminées quasiment en même temps mais à la dégustation, Christophe Guicheney a eu la surprise de constater une différence marquante. « Pure Fruit a apporté des arômes très fruités, tandis que Density a amené du volume et du gras en bouche », rapporte-t-il. En revanche, il a noté une légère réduction avec Density. « Il a fallu aérer davantage cette cuve que l’autre, au soutirage en fin de malo ».
Christophe Guicheney choisit désormais ses bactéries selon le style de vin recherché. « Pour les vins de garde, je vais privilégier Density et pour les vins fruités légers, Pure fruit » indique le vigneron qui consolidera ses essais ce millésime.
Dans les Bouches du Rhône, à Arles, Julien Henry, gérant des 200 ha du domaine de L’Isle Saint Pierre a testé la co-inoculation en 2024 sur un cépage résistant, le merlot khorus. « D’ordinaire, je n’ensemence pas car nos malos se font bien mais sur nos cépages résistants, on réalise des essais chaque année pour mieux les connaître » explique-t-il. Il levure d’abord deux cuves de 35 hl avec Anchor NT50 d’Erbsloeh. Puis il laisse la malo se faire dans la première et il inocule la seconde avec la bactérie Anchor Duet 48h après la fin de la FA.
A la dégustation à l’aveugle, la réponse du jury est unanime. « Ils ont tous préféré la cuve avec Anchor Duet : tanins plus fondus, complexité accrue et équilibre renforcé ; la différence était marquée. J’ai mis ce vin en bouteille et vendu l’autre en vrac car j’avais assez de volume conditionné » indique-t-il. De quoi convaincre le vigneron de renouveler l’opération cette année sur une cuve de 300hL. Autre avantage : « sans rien changer à l’élevage, le vin était prêt plus tôt à la mise. On a pu mettre en marché en janvier plutôt qu’en mars ».
C’est précisément pour cette raison que Dimitri Glipa, vigneron propriétaire des 14 ha du Mas Mubigliza à Maury, a testé des bactéries. Bien lui en a pris : il a pu mettre ce vin en bouteille en février-mars, plutôt qu’en avril-mai comme chaque année. « J’ai séparé en deux un lot de 30 hl de notre entrée de gamme, la Coume des Loups, un assemblage de syrah et grenache » explique-t-il. Après un levurage avec Zymaflore RX60 de Laffort, il réalise un pied cuve de bactéries indigènes pour inoculer sa première cuve. Dans la seconde, il utilise la bactérie Lactoenos Berry de Laffort. Là aussi, les deux vins sont radicalement différents à la dégustation. « La cuve ensemencée avec LactoOenos Berry était fruitée et plus fraîche, légèrement épicée avec des notes de type garrigue et mentholées alors qu’avec les bactéries indigènes, le vin avait perdu en éclat et en fraîcheur et des notes plus toastées » indique-t-il. Un essai qu’il compte renouveler ce millésime.
Les fournisseurs de produits réalisent eux aussi des essais. L’an dernier, Justine Laboyrie, responsable gammes fermentaires chez Lamothe-Abiet et Marion Favier, ingénieure en microbiologie pour le groupe Biolaffort, ont ensemencé un même vin en différentes bactéries - Oeno1, Oeno2 et Xtrem – en fin de FA. Stéphane Renversade, œnologue au centre œnologique Enosens de Coutras, a dégusté ces essais.
« Les profils aromatiques étaient vraiment distincts. Oeno1 a apporté de la fraîcheur et du fruité et Oeno2, des notes de fruits noirs, plus confiturées. La première est à utiliser plutôt sur les millésimes solaires tandis que la seconde est idéale sur des vins de garde. Xtrem, de son côté, rééquilibre des vins à pH bas en apportant longueur et rondeur en bouche ».
Et pour augmenter ses chances d’obtenir le profil aromatique souhaité, l’œnologue préconise des combos : « par exemple, la bactérie Oeno1 avec la levure Excellence XR pour préserver la fraîcheur ou le fruité des vins ». Plus qu’un auxiliaire technique, les bactéries sont un autre levier pour profiler les vins.
Justine Laboyrie, responsable gammes fermentaires chez Lamothe Abiet explique : « S’il est parfois recherché dans les vins blancs pour ses notes beurrées et lactées, le diacétyle l’est rarement dans les vins rouges car il les alourdit. C’est un composé qui se forme surtout pendant la malo et qui provient de la consommation d’acide citrique par les bactéries lactiques. Les bactéries en consomment plus ou moins, selon les souches, ce qui influe sur le profil aromatique du vin. Dans nos essais, les bactéries indigènes ont produit plus de diacétyle que les souches sélectionnées ce qui provoque une perte de la fraîcheur et du caractère fruité dans les vins. Par ailleurs, nous avons caractérisé toutes nos bactéries en fonction de leur production de diacétyle afin que les vinificateurs puissent choisir selon leurs besoins ».