e dix-huit mois à sept ans. Au Château Calon Ségur, à Saint-Estèphe, le repos du sol après arrachage varie depuis 2013 selon le résultat des diagnostics « nématodes » réalisés par Vitinnov. Si ces analyses révèlent l’absence de nématodes dans la vigne arrachée, la parcelle est replantée après an et demi de repos. Dans le cas contraire, elle reste au moins trois ans en jachère, suivant les recommandations de Vitinnov. « La jachère est la seule solution pour se débarrasser des nématodes et lutter contre le court-noué, souligne Lisa Gustafsson, responsable des vignobles. Cela nécessite du temps, de la patience. Pour que ce soit efficace, pas question de le faire à l’aveugle. »
Dans cette propriété, le dernier prélèvement de terre a été effectué début juillet sur une parcelle acquise en 2022. « On arrache toujours selon le même protocole : dévitalisation avec du glyphosate au lendemain de la vendange, taille à mort des pieds en hiver pour une dégradation rapide et en profondeur des racines, arrachage, extirpation d’un maximum de racines, puis un premier diagnostic pour estimer un temps de repos minimal, en général de trois à cinq ans car nous trouvons presque toujours des nématodes. Avant la plantation, on refait un diagnostic pour s’assurer que les nématodes ont disparu. Si ce n’est pas le cas, on prolonge autant que nécessaire la durée de la jachère », détaille Lisa Gustafsson.
Au Château La Conseillante, 12 ha à Pomerol, est un autre client de Vitinnov. « Depuis une dizaine d’années, on arrache une cinquantaine d’ares tous les ans, explique Marielle Cazaux, la directrice générale. On fait systématiquement appel à leurs services. Les diagnostics révèlent parfois des résultats surprenants. Sur trois parcelles arrachées dans une même zone géographique, deux présentaient beaucoup de nématodes et une très peu, alors que cette dernière avait des pieds très marqués par le court-noué en certains endroits. »
Malgré ces différences, l’ordonnance de Vitinnov fut la même pour les trois parcelles : un griffage des sols à 80 cm de profondeur dans les semaines suivant l’arrachage pour détruire mécaniquement les nématodes, un semis de luzerne à l’automne – plante reconnue comme nématifuge –, puis, au bout de trois ans de jachère, un diagnostic de contrôle pour savoir si la parcelle peut être replantée ou s’il faut prolonger la jachère.
« On arrache en moyenne 50 ares par an, détaille Marielle Cazaux. Sur les 12 ha, on se retrouve toujours avec 1 ou 1,5 ha en jachère. Mais le jeu en vaut la chandelle. Avant, on arrachait et on replantait l’année suivante sans trop se poser de question. Les dix premières années, les symptômes de court-noué étaient épars. Au bout de quinze à vingt ans, ils explosaient, les rendements s’écroulaient à 20-25 hl/ha et la qualité des raisins s’en ressentait. Aujourd’hui, sur la première parcelle de cabernet franc replantée en 2021 après cinq ans de repos, on constate que les plants sont beaucoup plus vigoureux. On espère que d’ici trente ans, quand elle sera en pleine fleur de l’âge, cette vigne ne présentera toujours pas de court-noué. »
Aymeric Hervy, le directeur vignoble du Château Pichon Baron, à Pauillac, mise lui aussi sur le repos des sols pour améliorer la longévité de ses parcelles. « On mène une politique d’arrachage et de replantation très stricte. Dès que les premiers symptômes de court-noué apparaissent sur une parcelle, on arrête la complantation. Et dès que la moitié de la parcelle est atteinte, on l’arrache. On fait alors systématiquement un diagnostic et on attend trois à cinq ans pour replanter. On sème de l’avoine pour drainer le sol et de la luzerne pour faire fuir les nématodes. On décompacte aussi les sols en profondeur avec un ripper dans les semaines qui suivent l’arrachage, quand la terre est bien sèche pour détruire mécaniquement les nématodes avant les semis d’automne. Tout est mis en œuvre pour éviter l’apparition de symptômes de court-noué au bout de quinze à vingt ans, mais on ne saura que dans dix ans si c’est efficace. »
« Depuis qu’on laisse les sols se reposer, on constate plus de vigueur dans des parcelles qui en manquaient cruellement avant leur arrachage, ajoute Lisa Gustafsson. Ce temps de repos est indispensable pour replanter sur des sols exempts de nématodes, mais cela ne garantit pas que le court-noué ne reviendra pas. Les nématodes sont mobiles et finiront sûrement par revenir. » Si cela devait être le cas, elle a déjà prévu une parade : un semis de sainfoin, une espèce nématifuge, dans les interrangs. Au Château Calon Ségur, les nématodes n’ont qu’à bien se tenir.
« Les vignerons qui respectent les temps de repos préconisés ont peu de recontaminations, assure Guillaume Darrieutort, chargé des diagnostics chez Vitinnov. Mais cela ne suffit pas toujours. Le problème du court-noué doit être pris des deux côtés. Éradiquer les nématodes mécaniquement en griffant les sols entre 50 et 80 cm de profondeur et éliminer les réservoirs de virus que constituent les racines. » Pour obtenir ce résultat, il est conseillé de dévitaliser les pieds au glyphosate au lendemain de la vendange puis de les arracher minutieusement et en douceur au printemps afin de déterrer le maximum de racines. Dans ce but, Aymeric Hervy, le directeur vignoble du Château Pichon Baron, à Pauillac, arrache au peigne au printemps. Dans les graves, ce passage suffit à extirper les racines, mais pas dans les argiles où elles cassent facilement. Là, il faut un passage supplémentaire au chisel pour éliminer celles qui sont restées dans le sol.