i l’Australie est souvent décrite comme le continent le plus plat au monde, certains pionniers y ont brillamment exploré la viticulture d’altitude. Ces vignerons se sont installés dans la région d’Orange, en Nouvelle-Galles-du-Sud, qui s’est peu à peu imposée comme une appellation d’excellence. Nichée sur les pentes du mont Canobolas, elle bénéficie d’un climat frais et de sols volcaniques riches situés entre 600 et 1 000 mètres d’altitude. Ces conditions permettent une maturation lente des raisins, favorisant finesse aromatique, équilibre et fraîcheur.
Steven Doyle est l’un des premiers à s’être installé là. Au début des années 1980, bibliothécaire, passionné de musique et vinificateur amateur, il s’illustre avec sa femme Rhonda en remportant deux médailles au Bushing Festival de McLaren Vale avec un shiraz et un chardonnay. Ce succès les pousse à se lancer dans l’aventure viticole. Après sa thèse intitulée « Enquête sur les potentiels de viticulture en climat frais dans les Central Tablelands », Steven se pose à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de la ville d’Orange sur un secteur qu’il choisit pour ses températures modérées et ses faibles risques de gel.
En 1983, il plante sa première parcelle. Dix ans plus tard, la critique anglaise Jancis Robinson lui adresse une lettre faisant l’éloge de son chardonnay. Son vignoble repose sur l’une des géologies les plus anciennes du monde (430 millions d’années). Les conditions climatiques lui permettent d’atteindre chaque année des maturités optimales, même pour les cépages tardifs comme le cabernet-sauvignon, apprécié ici pour sa grande finesse. Par ailleurs, Steven produit une cuvée pétillante nommée Chirac, très populaire localement, et son riesling a la réputation d’être le meilleur d’Orange. Malgré son succès, il ne s’est pas étendu au-delà de 8 ha. Il veut continuer à travailler seul et produire en toute autonomie ses vins fins et élégants.
En 1988, c’est au tour de Philip Shaw d’investir Orange. Un homme au parcours remarquable : dès l’adolescence, il fermente du raisin sec avec de la levure de boulanger. À 14 ans, il entre chez Penfolds et, à 23 ans, il dirige la construction du domaine viticole Karadoc (200 000 tonnes de capacité) pour Lindeman’s. De 1982 à 2000, il contribue à faire passer Rosemount Estate de 20 000 à 6 millions de caisses par an. Sa philosophie : « Le succès repose sur une excellente maîtrise des bases… et la capacité à les remettre en question. »
En 1989, il plante 47 ha sur des terres vierges à 900 m d’altitude, dans le lieu-dit Koomooloo, près d’Orange. Durant les quinze premières années, il vend ses raisins pour laisser le temps aux vignes de s’assagir. Ce n’est qu’en 2004 qu’il vinifie pour sa propre marque, Philip Shaw Wines. En 2015, il transmet l’exploitation à ses fils Daniel – qui entretient le vignoble – et Damian – au commerce. Tout en suivant les vinifications chez Philip Shaw Wines avec Arturo Longhini, l’œnologue, il se lance dans un projet ambitieux : Hoosegg, jeu de mots entre who’s (qui ?) et egg (œuf en anglais) pour signifier nouveau départ.
Hoosegg est un domaine ultra-sélectif, où il ne vinifie que les meilleurs raisins issus des plus vieilles parcelles du vignoble de Koomooloo. Doté d’un équipement de pointe et de fûts de chêne français, il produit des vins remarquables. « Les cépages tardifs comme le merlot, le cabernet-sauvignon et le cabernet franc ont mis du temps à révéler leur potentiel mais, aujourd’hui, ils atteignent un niveau exceptionnel », confie-t-il.
Les vins de l’exploitation se veulent très qualitatifs, de 50 dollars australiens (28 €) pour les entrées de gamme à 140 dollars (80 €) pour ses meilleures bouteilles, bien au-dessus de celles de Philip Shaw Wines. Avec cette nouvelle marque, Philip Shaw ose davantage en cassant les codes. Sa réputation n’étant plus à faire, il imagine des étiquettes drôles et originales pour ses entrées de gamme comme sa cuvée de chardonnay dénommée « Everything is going according to plan » (tout se déroule comme prévu en anglais) illustrée d’une étiquette indiquant qu’au contraire tout a fini en catastrophe.
Philip Shaw a été le premier vigneron australien à avoir remporté deux fois le titre de Vigneron de l’année au London International Wine & Spirit Competition. Son domaine fait aussi partie des lauréats réguliers du Cellar Door of the Year (caveau de dégustation de l’année), un concours national qui distingue les établissements exemplaires pour la qualité de leurs vins, de leurs prestations et de leur accueil.
Le domaine Ross Hill Wines est un autre habitué de ce prix. Propriété de Peter et Terry Robson, cette exploitation de 13 ha est aussi le premier domaine viticole « carbone neutre » d’Australie. Pour obtenir ce label, les Robson ont implanté de grandes surfaces de panneaux solaires, acquis un tracteur électrique, introduit des moutons pour désherber leurs vignes et installé des citernes pour récupérer l’eau de pluie. Une démarche verte qui séduit les consommateurs et renforce leur notoriété.
Comme la plupart des domaines d’Orange, Ross Hill Wines possède une salle de dégustation, avec la possibilité de se restaurer. En outre, cette propriété gastronomique propose de prendre des cours de cuisine avec des chefs de la région. Elle a également créé un wine club dont les membres bénéficient de plein d’avantages : des réductions sur leurs commandes allant jusqu’à 35 %, des expéditions sans frais partout en Australie, des places en avant-première aux déjeuners bisannuels organisés dans le chai à barriques, l’accès au musée, ce qui permet d’acheter des millésimes anciens. Le principal privilège, dans cette région parmi les plus jeunes et modestes d’Australie en superficie avec ses 1 500 ha cultivés par une soixantaine d’exploitations.
Fait rare : Orange est épargnée par le phylloxéra. Contrairement à bon nombre d’autres régions viticoles australiennes, on y trouve encore des vignes franches de pied. Cette singularité impose des règles strictes : interdiction d’introduire du matériel végétal sans certification, désinfection obligatoire de tous les matériels viticoles entrant dans la région, contrôles phytosanitaires rigoureux. Lors d’événements comme le Forage (randonnée vigneronne au cœur du vignoble), les participants doivent désinfecter leurs semelles dans des bacs prévus à cet effet afin de préserver ce précieux équilibre.