Désamorcer l’escalade
Y-a-t-il un pilote Macron pour sauver l’avion des vins et spiritueux français ?

Si l’ensemble du vignoble compte obtenir rapidement des aides gouvernementales pour compenser les surtaxes sur le marché américain, Cognac craint prochainement de nouvelles sanctions.
Toujours plus secoués par les turbulences du conflit aéronautique Airbus/Boeing entre l’Union Européenne et les Etats-Unis, les vins et spiritueux français veulent un atterrissage en douceur aux surtaxes de 25 % imposées sur le marché américain depuis le 18 octobre 2019 à certains vins et se déployant dès ce 12 janvier à tous les vins tranquilles, des mousseux et aux eaux-de-vie de vins. Avec un préjudice estimé à 1 milliard d’euros, l’exécutif français semble avoir pris l’ampleur de la portée de ces taxes.
Après des annonces sans effets, des mesures de compensations concrètes sont sur la table de travail de quatre ministres, suite à une rencontre du gouvernement avec l’ensemble de la filière ce 7 janvier. Lancées dès le lendemain, ce 8 janvier, des réunions entre les cabinets ministériels et les représentants de la filière devraient déboucher sur des aides dès cette semaine.
Soutenant ces demandes de compensation, la filière du Cognac s’inquiète surtout d’un risque d’escalade des sanctions (l’impact des taxes actuelles s’annonçant fort sur les PME plutôt que sur l’ensemble de la filière charentaise). Le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC) demande des actions fortes de l’exécutif pour négocier la fin des surenchères et la sortie de crise. « Plutôt que d’évoquer des indemnisations, l’urgence est d’arrêter la surenchère diplomatique. Il vaut mieux prévenir que guérir » résume dans un communiqué Christophe Véral, le président du BNIC.
Les eaux-de-vie charentaises gardent un souvenir insatisfait de la visioconférence avec les ministres ce 7 janvier, qui ne se seraient pas engagés à des actions diplomatiques fortes*, mais se réjouissent d’une rencontre ce 8 janvier avec le conseiller agricole de l’Elysée à Cognac (en marge d’un déplacement présidentiel à Jarnac).
S’appuyant sur un appel personnel au président de la République, le BNIC espère que ces échanges pousseront Emmanuel Macron à s’impliquer personnellement dans la résolution du dossier. L’espoir charentais étant que le président de la République porte une demande de résolution diplomatique du conflit aéronautique lors de ses premiers échanges avec le nouveau président américain, Joe Biden, prenant ses fonctions ce 20 janvier.
Si les planètes semblent alignées pour relancer les négociations, encore faut-il que la Commission Européenne ne prenne pas l’initiative de sanctions douanières relançant le cycle des représailles entend-on au BNIC. La filière charentaise demande à Emmanuel Macron d’influer sur le mandat de négociation de l’Union Européenne dans les multiples conflits commerciaux l’opposant à l’administration américaine.
L’enjeu pour la filière charentaise en particulier, et tout le vignoble français en général, est d’éviter de nouvelles sanctions européennes visant les spiritueux américains et alimentant le cycle des rétorsions transatlantiques sur une filière externe à ces conflits. Bruxelles pourrait ainsi imposer de nouvelles taxes sur les boissons alcoolisées dans le dossier Airbus/Boeing (comme en fin 2020, malgré les demandes de temporisation de la filière), ainsi que dans le conflit sur l’acier et l’aluminium (l’Europe taxe depuis l’été 2018 les bourbons à 25 %, une augmentation à 50 % serait prévu en juin).
Si le projet de taxes américaines dans le conflit sur les géants du numérique est écarté, les négociations entre les Etats-Unis et le Royaume Uni sur les subventions Airbus/Boeing se font désormais en direct, Brexit oblige, et inquiètent le vignoble français. Si ces négociations aboutissent prochainement, elles pourraient déboucher sur le transfert des sanctions américaines visant actuellement des produits britanniques en nouvelles taxes sur des vins et spiritueux français (afin de collecter la somme autorisée par l’Organisation Mondiale du Commerce dans ce conflit).
Dans ce contexte transatlantique tendu, le message du vignoble français est unanime pour le président de la République : la filière des vins et spiritueux n’est pas moins stratégique que l’industrie aéronautique et ne peut plus être sacrifiée à ces intérêts qui lui restent extérieurs. Les actions d’Emmanuel Macron pour désamorcer l’engrenage de cette machine infernale seront à suivre ces prochaines semaines.
* : Ministres engagés à solliciter Commission Européenne sur assouplissement des aides nationales pour filières impactées sans craindre infraction pour aides d’Etat. Mais aucun engagement diplomatique : pas rassuré par réunion 7 janvier, laisse doutes sur intentions de la France.
Ce 6 janvier, le Bureau National Interprofessionnel de l’Armagnac sollicitait également dans un communiqué l’engagement personnel du président de la République. « J’en appelle solennellement à Emanuel Macron. L’heure est grave pour la plus vieille eau-de-vie et de nombreuses entreprises du Sud-Ouest, dans les Landes, le Gers et le Lot-et-Garonne qui la commercialisent et la valorisent » indique Patrick Farbos, ajoutant qu’« il est urgent d’agir pour ne pas laisser ce contentieux nuire à nos territoires. Je sais le Président de la République attaché à nos terroirs. Il ne peut pas nous laisser dans cette situation. »