Un peu en Bourgogne, beaucoup à Bordeaux
Cash Investigation repart en croisade contre les phytos CMR

L’émission d’Élise Lucet est revenue à la charge contre les Cancérigènes Mutagènes et Reprotoxiques dans le vignoble français. Vous avez manqué le reportage ? En voici les principales étapes viticoles, et la réaction de l'interprofession girondine.
Attendue non sans crainte, la diffusion du dernier documentaire Cash Impact "Pesticides : notre santé en danger" (ce mardi 27 février sur France 2) a bien tenu sa promesse : le vignoble bourguignon obtient des encouragements, pour ne pas dire des bons points, quand celui bordelais récolte de nouveaux avertissements, pour ne pas dire une mise en garde. Le témoignage de Sylvie Berger, ayant contracté la maladie de Parkinson dans les vignes, et les analyses de résidus de Marie-Lys Bibeyran, présidant le collectif Info Médoc Pesticides, tirant un constat alarmiste.
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Pourtant, le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) a joué le jeu en amenant les équipes de Premières Lignes TV (qui produit l’émission) juger des engagements environnementaux de ses opérateurs sur le terrain. Une visite hélas « trop guidée » au goût du documentaire, qui rapporte ne pas avoir réussi à rencontrer directement des viticulteurs.
« Dans notre région, ne pas intervenir pour protéger la plante contre le mildiou quand il fait chaud et humide, ça veut dire ne pas récolter » pose Céline Wlostowicer, lors d’une visite de vignes à Sauveterre, dont elle préside la coopérative. Également secrétaire générale de l’Organisme de Défense et de Gestion de Bordeaux et Bordeaux Supérieur, la vigneronne a porté l’adoption de cinq mesures agroenvironnementales au cahier des charges en 2017.
Une intégration contraignante qui ne semble pas avoir marqué l’esprit du reportage, décidément sceptique en Gironde, et qui préfère noter qu’il n’y a pas d’interdiction des produits Cancérigènes Mutagènes et Reprotoxiques. « Le message est très clair : s’il y a des produits CMR très dangereux, il faut autant que possible les sortir. Il n’y a pas d’ambiguïté. Qu’est-ce que vous me demandez d’écrire dans un cahier des charges ? Est-ce que c’est normal que moi, viticultrice, je me substitue à la décision de l’État pour homologuer un produit ? » rétorque Céline Wlostowicer.
Répété à l’envi depuis 2016, ce message d’incitation à la sortie progressive des pesticides a été repris par Allan Sichel, le président du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), interviewé par la journaliste-présentatrice Élise Lucet. Mis face à la présence de matières actives interdites (notamment diuron et métalaxyl) dans des poussières d’habitations du vignoble médocain, le négociant girondin a pris une position ferme : « si on connaît l’identité des gens ayant ces pratiques, on va engager des procédures judiciaires pour les dégâts qu’ils font. Les tricheurs, les fraudeurs, les bandits, on aura du mal à les entraîner. Il faut des mesures coercitives pour qu’ils sachent qu’ils sont sous surveillance, qu’ils vont être détectés et sévèrement traités. La filière n’accepte pas qu’il y ait des comportements illégaux. » Suite à cet entretien, le CIVB a mené l'enquête et apporté des éléments pour préciser le débat (voir encadré).
Autre approche de Cash Investigation en Bourgogne, où le documentaire se montre plus facile à convaincre. Après avoir visité une école dont les vignes environnantes vont être arrachées, le reportage se focalise sur un « Comité de Salut Public » composé de vignerons, négociants et techniciens ayant « concocté une jolie brochure », la charte régionale sur les pratiques phytosanitaires (arrêt du désherbage, limitation des CMR aux anti-mildiou…). De « chouettes promesses, mais qui n’ont absolument rien de contraignant » reconnaît le documentaire. Qui est allé vérifier la véracité de cet engagement régional en rencontrant un vigneron, Fabien Dauvissat (à Chablis), qui vient d’arrêter les produits classés CMR, avec les conseils de Guillaume Morvan, technicien à la Chambre d’Agriculture de l’Yonne.
« D’un côté on dit qu’il ne faut pas utiliser les produits CMR, et chaque année il s’en homologue de nouveaux » ajoute le technicien viticole. « Il y a de nouveaux produits qui sont CMR avéré au moment de l’homologation. C’est scandaleux de voir ça » s’indigne en écho le vigneron bordelais Dominique Techer (Pomerol), l’élu de la Confédération Paysanne étant finalement la seule caution environnementale accordée au vignoble bordelais.
Que les spectateurs aient oscillé entre exaspération face à des approches partiales et indignation face à des révélations chocs, ce documentaire devrait, malgré son heure tardive de diffusion, de nouveau faire bouger les lignes. S’ils sont de plus en plus sur la place publique, les pesticides restent « un sujet sensible, l’émission de Cash Investigation diffusée il y a deux ans a laissé des traces. Pour nous, cela a presque été bénéfique, ça nous aide à expliquer aux vignerons récalcitrants pourquoi il faut changer les règles » reconnaît ainsi Christophe Chateau, directeur de la communication du CIVB, lors de la visite. À voir si ce bilan pourra être répété dans deux ans, qui sait lors du prochain documentaire télévisé sur les CMR.
Pour Cash Investigation, la « timidité » des vignerons bordelais tient moins de la réserve face à des interviews musclés qu'à un manque de transparence, voire d'évolutions, sur les pratiques phytos.
« Nous n'avons pas eu l'occasion de montrer les évolutions du vignoble bordelais. Ma plus grande frustration, c'est d'être allé à cet entretien pour mettre en avant les éléments positifs et d'avoir été pris au dépourvu sur des analyses que je peux maintenant expliquer » explique Allan Sichel à Vitisphere, après la diffusion de Cash Impact. Réagissant à chaud à la diffusion du documentaire, le CIVB vient de diffuser un communiqué estimant que « Cash Impact ne tient pas sa promesse : où est le bilan objectif deux ans après Cash Investigation ? » Regrettant le « sensationnalisme » de l’émission, l’interprofession liste les précision qui n’ont pas été apportés par le reportage. Ainsi « Cash Impact ne devrait pas laisser croire, sans preuves, que des viticulteurs fraudent en achetant à l’étranger des produits interdits en France, Cash Impact aurait pu montrer les vignes arrachées près de sites sensibles (écoles, crèches…), Cash Impact aurait pu parler du travail des professionnels bordelais pour obtenir la ré-homologation du cuivre et de la bouillie bordelaise, Cash Impact aurait pu souligner l’action de la filière dans la recherche et les évolutions réglementaires pour l’obtention de cépages naturellement résistants… »
Et en réaction aux analyses révélant la présence de traces de phytos interdits dans des écoles du Médoc, le CIVB annonce que « toutes les parcelles de vigne situées à proximité des écoles mentionnées dans Cash Impact sont aujourd’hui traitées avec des produits homologués en bio ». Pour l'inteprofession, « Cash Impact aurait pu dire que des molécules de produits interdits depuis plus de dix ans peuvent laisser des traces dans l’environnement (c’est pour cela qu’ils ont été interdits), Cash Impact aurait pu révéler que le diuron, bien qu’interdit depuis 10 ans en agriculture, est toujours autorisé pour d’autres usages (notamment le bâtiment). »
« Ce qui me gêne le plus, c'est que mon intervention se cloture sur l'idée que des produits interdits depuis 10 ans soient utilisés par des vignerons et qu'on les retrouve dans les cours d'école » regrette Allan Sichel, après coup.