"Ce n’est pas la vérité, mais mon opinion"
Bernard Magrez ne croit plus aux vins de Bordeaux, mais à d'autres vignobles et alcools

Fier de ses quatre grands crus classés bordelais (même s’il doit arracher des vignes à Sauternes), l’homme aux 42 propriétés dans le monde préfère miser sur d'autres appellations, qu’il juge plus dynamiques. Tout en se diversifiant dans la brasserie et en revenant aux spiritueux : gin, vodka et whisky.
« Je n’ai pas la prétention de dire la vérité, mais ce que je pense » précise Bernard Magrez ce 14 janvier, en marge de sa visite aux 25 premières start-ups accueillies par son incubateur, au château le Sartre (Léognan). N’ayant jamais retenu ses coups, Bernard Magrez frappe toujours fort à 84 ans : « le Bordeaux bashing, ce n’est pas une chanson, c’est une vérité. Bordeaux n’a pas renouvelé sa gamme [alors que] les amateurs de vins aiment découvrir des nouveaux produits. A Bordeaux, ça ne bouge pas, […] tandis que l’on a mille concurrents qui sont très costauds au niveau qualitatif, au niveau prix, au niveau célébrité… »
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Pour expliquer le manque de dynamisme qu’il ressent à Bordeaux, Bernard Magrez juge qu’elles se reposent trop sur le confort de lauriers fanés. Fier d’être le propriétaire de quatre crus classés dans le bordelais (même si l’un d’eux lui pose des problèmes de rentabilité, voir encadré), « il y a un certain nombre d’entreprises dans la viticulture où c’est la troisième/quatrième génération. Les gens sont usés, ils n’ont plus envie. Ils vivent sur un passé, ils ne se rendent même pas compte qu’ils périclitent. » Face à ce constat tranché, le propriétaire de 42 propriétés dans le monde axe sa stratégie sur ses « quatre grands crus classés, des vignobles en Languedoc, en Roussillon et en Côtes-du-Rhône, qui vont être les remplaçants des vins de Bordeaux ».
Misant sur la syrah pour les vins du Rhône (et « son émotion »), Bernard Magrez garde le principe de gammes signées par son marque ombrelle éponyme pour donner une meilleure lisibilité des rayons aux consommateurs. « C’est une stratégie qui n’existe nulle part. Personne n’ose mettre le même nom sur un Bordeaux, sur un vin du Sud de la France et a fortiori sur des vins d’Uruguay, d’Argentine, du Chili… Nous on le fait, et ça fonctionne » explique celui qui précise : « je ne suis pas un vigneron, je suis un vendeur qui essaie de comprendre le consommateur ».
En matière d’étude du marché, il n’échappe pas au PDG du groupe Bernard Magrez que la consommation de vins rouges chute toujours plus au profit des blancs, rosés et effervescents, mais que ce sont désormais les bières qui prennent des parts de marché aux rayons des vins. Prévoyant initialement de lancer en 2021 sa marque de bières artisanales, Bernard Magrez voit son calendrier perturbé par la crise sanitaire, mais pas sa volonté de devenir brasseur. Le château de Sartre doit accueillir cette année une installation dédiée pour permettre au groupe Bernard Magrez de proposer ses premières bières. « Ensuite, nous prendrons des participations dans des brasseries artisanales sans équipes commerciales » indique Bernard Magrez, qui prépare d’autres innovations commerciales.
« Je reviens au scotch whisky ! Et je vais produire de la vodka française et du gin français » indique l’entrepreneur, renouant avec sa première carrière dans les spiritueux. Ayant créé puis vendu la marque à succès de whisky William Peel, Bernard Magrez compte bien réussir avec les mêmes recettes : l’attractivité auprès du client. Les noms des nouvelles marques sont actuellement en phase de test auprès des consommateurs. Un lancement pourrait avoir lieu en mai-juin 2021.
Cet hiver, le premier cru classé de Sauternes qu’est le Clos Haut-Peyraguey va arracher 3 à 4 hectares de vigne pour rééquilibrer sa production avec ses capacités commerciales. A l’époque propriétaire de trois crus classés (les châteaux Pape Clément, Tour Carnet et Fombrauge), Bernard Magrez estime qu’il aurait mieux fait de se casser une jambe plutôt que d’acheter le clos Haut-Peyraguey en 2012. « J’y perds de l’argent tous les ans… C’est une affaire minable que j’ai faite. Ma solution est d’arracher des vignes pour ne produire que ce que je vends » explique-t-il, reconnaissant cependant sa fierté d’être le seul propriétaire de quatre grands crus classés de Bordeaux.