Sud-Ouest
Questionnements autour d'un anti-mildiou

Alors que la campagne 2018 a été marquée par une très forte pression mildiou, des viticulteurs du sud-ouest ont perdu une importante part de leur récolte. Selon eux, un produit est en cause. Ils comptent entamer des procédures pour obtenir réparation.
Dans de nombreux vignobles, des vignerons ont connu cette année 2018 de gros échecs de protection contre le mildiou. En Gironde, dans le Gers et dans le Lot-et-Garonne, des viticulteurs remettent en question l'efficacité d'un produit en particulier : le Mildicut. Ils ont en commun de l'avoir utilisé au moment crucial de la floraison ou de la nouaison, d'être convaincus d'avoir traité dans le respect total des préconisations d'application – dose, cadence, etc- et d'avoir enregistré pour la première fois de leur carrière une très grosse perte de récolte et nettement supérieure à leurs voisins qui eux, ont eu recours à d'autres produits.
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Convaincus que le produit n'a pas été à la hauteur, ils ont donc décidé d'entamer des démarches juridiques pour obtenir dédommagement. « J'ai fait un constat d'huissier avant que le raisin ne soit cueilli ; il a pris des photos et mesurer les pertes, qui sont hors-normes », témoigne Christophe Moustier, vigneron à Escoussans (Entre-deux-Mers), qui l'utilisait cette année pour la première fois. C'est aussi le cas de Philippe Sarion, vigneron à la cave de Buzet, qui a perdu 85% de sa récolte sur 22 ha. « Une technicienne Belchim est venue en juin constater les dégâts et effectuer des prélèvements en vue d'analyser le produit, mais je n'ai pas de réponse sur les résultats malgré mes relances », témoigne celui-ci, qui a également fait passer son expert en assurance et un huissier.
Philippe Peyrondet, vigneron à Saint-Pierre-de-Bat (Gironde), a également pris soin de conserver une parcelle témoin et des bidons intacts du produit portant les mêmes numéros de lot que ceux utilisés, en vue de les faire analyser et d'en vérifier la conformité plus tard. Selon lui, les viticulteurs qui ont rencontré des problèmes ont acheté la même série de fabrication que lui ; il suspecte une non-conformité de ces bidons par rapport à l'homologation. « Je prends les devants juridiques, je garde tout », indique-t-il.
D'autres, déjà utilisateurs de ce fongicide les années passées, ont fait prélever des échantillons de vigne pour tester une éventuelle résistance de la souche du champignon à cette molécule. Ils sont actuellement en attente des résultats, comme Eric Guérin, à Ladaux (Entre-deux-Mers), qui refuse de payer le produit à son distributeur tant que le « doute ne sera pas levé ». Des viticulteurs concernés envisagent également de créer un collectif d'ici peu : « J'attends la fin des récoltes pour voir avec mes collègues comment on peut s'organiser pour dénoncer une telle défaillance, qui va mettre en péril un grand nombre de vignerons », témoigne Philippe Sarion. « Après les vendanges, les récoltes étant tellement faibles, ça va bouger », promet Philippe Peyrondet.
Interrogés sur la question, les techniciens et les principaux distributeurs - Inovitis, Soufflet vigne - restent très prudents et partagés sur la question.
Pour certains, il ne fait pas de doute que les échecs de protections proviennent de la qualité et/ou des conditions d'application des viticulteurs. Ils soulignent qu'ils ne rencontrent pas de difficultés particulières liées à l'utilisation de ce produit, des viticulteurs ayant eu de très bons résultats avec, lors de cette campagne. C'est le cas de Frédéric Desessard, prestataire de service chez Banton & Lauret: il l'a appliqué cette année sur 170 ha de vignes en Gironde, au moment de la floraison et n'a pas remarqué de « défaillance particulière »: « le mildiou a été contenu, grâce au raccourcissement des cadences », témoigne celui-ci.
D'autres n'ont pas souhaité s'exprimer, le sujet étant « délicat et complexe ». D'autres encore reconnaissent à demi-mot « avoir, comme un certain nombre de distributeurs, fournisseurs ou institutions, lancé des analyses de monitoring de résistances, mais pas uniquement sur ce produit ».
Du côté du fabricant, on déclare qu'aucune baisse d'efficacité imputable à la résistance n'a été jusqu'à présent rapportée depuis le lancement du produit. Concernant les problèmes d'efficacité rencontrés par des vignerons, les échecs peuvent s'expliquer par le « contexte » : « ce produit est généralement employé lors de la période la plus critique, celle de la floraison. Cette année a été marquée par un printemps très pluvieux et des variations de tempétures importantes, avec des difficultés pour traiter au bon moment », indique Nicolas Fillot, chef marché vigne. Il est de plus appliqué après « 3 ou 4 autres » qui précèdent le Mildicut lui-même : « L'émergence du mildiou est la résultante d'une problématique qui s'est accumulée depuis le départ de la campagne, telle une cocotte-minute prête à exploser au moment critique de la floraison, période concomitante avec le traitement au Mildicut, poursuit celui-ci. Il fallait plus que jamais cette année respecter les doses, resserrer les cadences à 12 jours et préférer l'application en préventif ».Quant à un éventuel souci de lot défectueux, sa conformité est encore à l’analyse chez le formulateur. « Nous reviendrons vers notre interlocuteur dès la mise à disposition des résultats », précise Belchim.